DEDICACE

A Monique,

cette Amie qui a su me donner confiance en moi, me convaincre de poursuivre l’écriture de ces pages, cette Amie sans qui ce livre n’aurait jamais vu le jour.

PREAMBULE

http://www……dialogue en direct

24 février 2001, devant mon écran impatiemment j’attends…

J’attends l’amie qui doit arriver.

De nouveau discuter, comparer, échanger.

Parler d’amour et d’amitié…..

Je suis née un jour d’avril, le 18 précisément. L’année ? 1952.

Je suis née d’une mère qui n’a pas su me donner tout l’amour qu’un enfant est en droit d’espérer.

Ce manque d’amour maternel a influencé tout le cours de ma vie. Je l’ai cherché et le cherche encore, dans toutes mes amitiés, dans l’amour de celui qui partage ma vie. Comment donner l’amour lorsqu’on ne l’a pas reçu ? Comment comprendre qu’il se partage, qu’il n’est pas exclusif ?

On en donne, mais on en reçoit aussi. A des degrés différents, cet amour se partage avec les êtres que l’on côtoie. C’est parfois amour, plus souvent amitié, mais quel que soit le nom qu’on lui donne, ce sentiment puissant vous liant aux êtres chers est souvent difficile à gérer, plus difficile encore lorsqu’on ne l’a pas reçu.

Tout celà je l’ai appris, au fil de la vie. Mais que de dégâts sur ce chemin cahoteux ! Que d’amitiés brisées et d’amours déçues ! Que de souffrances endurées et infligées à l’autre !

Pour tout cela, Maman, je ne te dis pas merci !

MON ENFANCE

Je ne souhaitais pas consacrer à mon enfance, que je juge parfaitement inintéressante, un chapitre entier. Cependant devant l’insistance de certains de mes amis, je me décide, bien que n’ayant pas, comme beaucoup, de fabuleux récits d’enfance à raconter.

J’ai peu d’informations sur ma famille, ma mère, très particulière, considérant que cela ne regardait pas les enfants, nous avait caché durant de très nombreuses années son âge ainsi que celui de notre père. Nous n’en savions pas plus sur la profession de ce dernier et encore moins sur les antécédents de notre famille.

D’après ce que je sais maintenant, mon père était fils de boulanger dans un village de l’Oise, Berneuil-sur-Aisne. Il avait une sœur et deux frères. Ma mère, quant à elle, était issue de la petite bourgeoisie. Mon grand-père avait exercé plusieurs professions, dont celle de Directeur de travaux aux Ponts et Chaussée et celle de Directeur de sucrerie. Ma mère avait une sœur et deux frères.

Je ne sais pas exactement comment mon père et ma mère se sont rencontrés. Je sais simplement qu’avant de connaître ma mère, mon père fréquentait sa sœur, tante Suzanne. A la vue de ma mère, il ne lui fut pas très difficile de tomber amoureux d’elle car elle était d’une beauté de star.

Peu de temps avant son mariage, ma mère annonça à ma grand-mère qu’elle ne souhaitait plus épouser mon père. Ma grand-mère se mit en colère et demanda à sa fille si elle saurait un jour ce qu’elle voulait faire. Vexée, ma mère prit alors la décision de se marier. C’est ainsi que le 3 juillet 1947 elle prononça ce « oui » fatal.

Ma mère ne souhaitait pas d’enfant. Cependant, le 29 décembre 1949 naquit mon frère Lionel.

Trois ans et trois mois plus tard, ce fut à mon tour de faire mon entrée dans cette vie : le 18 avril 1952 à midi, je poussai donc mon premier cri, qui ne fut pas le dernier !

La seule chose que je sache de ma naissance c’est qu’elle eut lieu à midi. Le reste, bien qu’étant présente ce jour là, n’est pas resté gravé dans ma mémoire. Et, comme je ne puis compter sur les détails que toute mère digne de ce nom livre à ses enfants, l’auteur que je suis ne s’étendra pas sur cet épisode de son histoire qui, bien qu’il fût le premier, n’en demeure pas pour autant le plus important !

Je me dois cependant de préciser que je suis née le jour de la Saint Parfait ! Est-ce pour contrarier ma mère qui ne me désirait pas et qui n’a toujours fait que peu de cas de sa fille ? Je ne le sais pas, mais c’est possible : j’ai toujours eu tendance à contrarier ceux et celles qui cherchent à me faire du mal…sans toujours le vouloir vraiment.

Mon frère ne fut pas informé de mon arrivée, ce qui eut pour effet de déclencher sa jalousie.

Je ne fus pas une enfant malheureuse. D’ailleurs, au dire de ma mère, je n’ai manqué de rien. Rien : non, en effet ! Papa étant employé dans la plus grande entreprise d’électricité de France, je bénéficiais des avantages liés à cette fonction, colonies de vacances deux fois par an (Pâques et juillet), après-midi de détente le jeudi –on appelait cela les « Beaux Jeudis », trois semaines de vacances avec mes parents et mon frère en août

Si j’ajoute à cela, les plus beaux jouets à Noël, des vêtements et des souliers propres et sans accrocs, assiette bien garnie midi et soir, alors oui, je devais être une enfant heureuse.

Lorsque je suis née, mes parents habitaient un appartement très humide chez le maréchal-ferrant à Bobigny. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette période, jusqu’à la date de notre déménagement en été 1956 : j’avais alors tout juste quatre ans.

Nous arrivâmes à Noisy-le-Sec, dans la cité Stéphenson, qui venait tout juste de sortir de terre. Je me rappelle que notre camion de déménagement conduit par une femme, s’était enlisé dans la rue non encore goudronnée. Toute petite déjà, j’aimais aider et ce jour-là, je me souviens que je choisissais toujours les cartons les plus lourds, bien trop lourds pour le bout de chou que j’étais !

Notre nouvel appartement était situé au premier étage. Il se composait d’une grande entrée avec, sur la gauche, la salle de bains et la cuisine. Au fond du couloir à droite, 

une chambre, celle de mes parents, en face la salle à manger et, tout à fait en bout de couloir, une deuxième chambre qui devint celle de mon frère.

Pour ma part, je n’avais qu’un petit coin pour dormir : dans la grande pièce servant en même temps de salle à manger et de salon, mes parents avaient installé un divan. Chaque jour, il fallait déplier le divan, installer draps et couvertures. Le matin, opération en sens inverse. Alors que j’entrais dans ma quinzième année, mes parents achetèrent un canapé. Mes nuits changèrent !!

De quatre à six ans, j’allai à l’école maternelle où je fis mes premières bêtises.

Ensuite vint l’école primaire. Elle était à cinq minutes de la maison et constituée de bâtiments préfabriqués construits après la guerre. – Il ne faut pas oublier que Noisy-le-Sec fut détruite à 90% durant la dernière guerre et que si elle ne fut pas considérée comme ville morte c’est uniquement parce que ses habitants eurent la volonté de tout reconstruire -  Cette école était située rue de Neuilly. Quelques mètres plus loin, il y avait une vieille boutique dans laquelle nous pouvions nous approvisionner en bonbons de toutes sortes. C’était donc très souvent que mes camarades et moi faisions une escapade jusqu’à la boutique pour acheter nombre de « roudoudous », « carambar », « malabar », boîtes de coco, sachets de mistral, rouleaux de réglisse, sans oublier les petits bonbons à un centime !J’avais rarement l’argent nécessaire à ces achats, mon argent de poche étant placé dans une tirelire dont seule ma mère détenait la clé ! Cependant, allant par obligation à la messe chaque dimanche, je détournais la moitié de l’offrande destinée au culte. Ceci me permettait de temps en temps de participer à l’approvisionnement en sucrerie.

A ces escapades entre élèves, je me dois d’ajouter celles effectuées en compagnie de mon père. Au contraire de ma mère, j’ai rarement entendu celui-ci gronder. Lui et moi étions complices. C’est ainsi que, tous les dimanches, il m’emmenait avec lui pour faire son tiercé. Je me souviens  qu’il se rendait toujours au café de la Mairie. J’adorais aller avec lui ; d’abord, j’avais l’honneur de poinçonner chacune des cases correspondant aux numéros des chevaux que papa choisissait. Ensuite,  dans ce café, il y avait le summum du modernisme en matière de juke-box : un magnifique juke-box accouplé à une télévision, probablement l’ancêtre de ce que l’on a coutume d’appeler maintenant le vidéo-clip. Pendant que papa faisait valider son coupon de tiercé,  je glissais, dans la fente de l’appareil, la pièce qu’immanquablement il me remettait. Et je restais « scotchée à l’écran » devant mon idole Sheila dans son interprétation de sa chanson en tête des hit-parades de l’époque, « l’école est finie », que je ne me lassais pas d’écouter, allant même jusqu’à accompagner l’artiste dans ses œuvres tant je connaissais les paroles par cœur.

Je ne sais plus au juste pourquoi, mais il m’arrivait assez souvent de me rendre sur le lieu de travail de mon père. Là, je me souviens que j’étais fort gentiment accueillie pas ses collègues qui s’occupaient de moi pendant que papa faisait sa tournée.

Mon père étant releveur-encaisseur à l’EDF préparait très souvent sa tournée de clientèle le soir, à la maison. J’aimais l’aider à cela, il m’expliquait ce que je devais faire et nous passions des heures ensemble à travailler.

Je ne me lassais jamais de l’accompagner partout où il allait, que ce soit pour faire les courses, ou bien se rendre au garage lorsqu’il procédait à la révision de la voiture avant de partir en vacances. J’allais avec lui également lorsqu’il devait la laver, 

mon rôle consistait à faire les glaces mais également faire briller les chromes, nombreux sur les voitures de cette époque

En vacances, au camping, je suivais mon père comme son ombre ! Ainsi, je jouais à la pétanque avec lui et je n’étais pas peu fière de faire équipe avec lui, m’appliquant toujours à bien placer la boule le plus près possible du cochonnet.

Une année, je me souviens qu’une sorte de radio-crochet fut organisé par le responsable du camping, à l’occasion de la fête de fin de séjour. Papa nous inscrivit tous les deux. Lui, interpréta un sketch pour lequel il eut un vif succès, je choisis de chanter « les portes du pénitencier »  de Johnny Hallyday. J’eus également du succès, étant la plus jeune à monter sur la scène. Je ne sais pas lequel de nous deux fit gagner l’autre : papa était persuadé que c’était lui, je pensais le contraire !! En tout cas, un prix nous fut remis, un disque 45 tours que je brandis tout au long de l’allée qui nous ramenait à notre tente. Ma mère qui ne s’était pas déplacée  pour nous encourager, ne comprit pas ma joie ; mon père, quant à lui, se vit une fois de plus traité d’imbécile pour avoir osé se montrer ainsi en spectacle.

Ma mère fut sévère pour l’éducation de mon frère et la mienne. Jamais battus, ni même giflés, elle ne criait pas non plus, ou très peu, malgré cela nous filions droit. Un regard, une intonation de la voix, nous interdisaient de nous rebeller : pas question de mettre en doute son autorité.

Cette sévérité était fort heureusement tempérée par la gentillesse de notre père. Ma mère ayant décidé, par exemple, qu’à la rentrée scolaire elle achetait tout ce dont nous avions besoin, refusait de remplacer, en cours d’année, la gomme ou le taille- crayon que nous avions perdus. Dans ces cas-là, nous allions trouver notre père et celui-ci nous achetait les objets manquants en nous recommandant de bien faire attention à ce que notre mère ne s’aperçoive de rien.

Notre vie à la maison était réglée, tel un métronome. Ayant calculé qu’il ne nous fallait que cinq minutes pour faire le trajet de l’école à la maison, notre mère ne tolérait pas que nous arrivions avec plus de dix minutes de retard. Nous sortions à seize heures trente et devions être rentrés à seize heures quarante cinq au plus tard. Si le temps imparti était dépassé, il nous fallait très vite trouver une bonne explication !

Une fois rentrés de l’école, nous quittions chaussures et manteaux, passions à la salle de bains pour nous laver les mains, puis à la cuisine pour prendre notre goûter.

Ensuite, nous allions tous les deux dans la chambre où nous devions faire nos devoirs, en silence.

Nous ne nous entendions pas très bien mon frère et moi. Nous avions trois ans d’écart, et, comme déjà dit,  mon arrivée ne lui avait pas été annoncée. Jaloux et possessif de nature, il supportait mal ma présence à ses côtés. Cependant, dès qu’il s’agissait de faire des bêtises, nous trouvions facilement un terrain d’entente. Je me souviens d’un jeu de fléchettes dans lequel il m’avait entraînée, et c’est allègrement que nous plantions alternativement  notre porte-plume dans le papier peint nouvellement posé de notre chambre ! Ceci nous valut, bien évidemment une sévère punition.

A la maison, nous avions pris l’habitude de vivre en fonction des différentes tâches ménagères. L’humeur de notre mère dépendait en effet de ce qu’elle avait accompli dans la journée :

- le lundi, c’était le jour de grand ménage. Mieux valait en rentrant le soir, ne pas oublier  d’ôter les chaussures !

- le mardi, il était recommandé de revenir de l’école sans punition, car c’était le jour de la lessive et là, l’humeur était des plus mauvaises !! 

- le mercredi, il y avait deux choses : le marché le matin, l’après-midi, en principe étant consacré au repassage.

- le jeudi nous était réservé puisque c’était notre journée de congé. Ce jour-là, pas de grasse matinée ! Il nous fallait nous rendre à la leçon de catéchisme. Contrairement à mon frère, je n’y allais pas avec joie !!

Pourtant naïve de nature, très tôt je compris que l’histoire racontée relevait plus de la fiction que de la réalité !! Je ne croyais pas une seconde à la multiplication des pains, encore moins à la marche de Jésus sur l’eau ! Cependant, je fis ma communion puisque telle était la volonté de ma mère. Je n’ai pas un très bon souvenir de cette journée. Alors que trois années plus tôt, mon frère avait eu droit à la réunion de famille au grand complet dans le restaurant le plus chic de la ville, ne furent présents à ma communion que mes parents et mon frère. Ma mère s’étant fâchée avec toute la famille, personne ne fut invité, pas même ma marraine qui, soit dit en passant, encore maintenant ignore qu'elle est ma marraine !!

En contrepartie à ce désert familial, j’eus droit au plus cher des cadeaux !! Un superbe électrophone de la marque Claude auquel mon père avait ajouté une montre en plaqué or ! Encore aujourd’hui l’électrophone fonctionne à la perfection. Par ce geste généreux, ma mère pensa sans doute que j’étais la plus heureuse des communiantes !

Le jeudi, c’était aussi l’après-midi de détente au centre aéré de l’EDF. Les premiers temps, nous ne partions qu’une demi- journée, puis ce fut la journée complète. A huit heures, le matin, un car nous prenait pour nous emmener à Presles, tout près de l’Isle-Adam dans une grande propriété où toutes les activités de loisir étaient possibles : à l’intérieur, travaux manuels, ping-pong, à l’extérieur, jeux de ballon, parties de cache-cache, promenades en forêt.

Vers l’âge de 15 ans, mon père qui était moniteur dans ce centre aéré, demanda à ce que je devienne monitrice-adjointe, ce qui fut accepté. On me confia les enfants de douze-quatorze ans qui étaient inscrits à l’équitation. Je ne me contentais pas de les accompagner au haras, étant autorisée à pratiquer également cette activité. Ainsi, je fis quatre heures d’équitation par semaine et devins une cavalière émérite.

- le vendredi, autant que je m’en souvienne, était une journée calme. Généralement, ma mère se réservait cette journée  pour des visites chez ses différents médecins !!

Nous vivions dans une cité fort conviviale, agrémentée d’espaces verts importants. Alors que tous nos camarades pouvaient aller jouer dehors, au ballon, faire du vélo ou autre, mon frère et moi avions, bien évidemment, interdiction de descendre jouer. Nous devions nous contenter de la chambre, ce qui n’était pas sans provoquer de grandes disputes. Il suffisait qu’il souhaite installer son train électrique, pour que je veuille dès cet instant jouer avec mon landau ! De même, lorsque nous fûmes plus âgés, s’il branchait sa radio sur Radio Luxembourg, je branchais la mienne sur Europe 1 !

Cependant, un jour que ma tante me demandait ce que je voulais comme cadeau de Noël, je me fis offrir une paire de patins à roulettes. Alors que ma mère avait refusé la bicyclette, je ne sais encore aujourd’hui pourquoi, elle accepta les patins ! Peut-être n’avait-elle pas, sur l’instant, réalisé que les patins à roulettes ne pouvaient être utilisés qu’en extérieur ! De ce jour, je pus, mais sous certaines conditions, descendre jouer avec mes camarades. Je devais rester à portée de regard de ma mère. Pas question de m’éloigner ! Pourtant, la tentation était bien trop grande, et nombre de fois je m’échappais passant outre aux menaces. Très vite il m’était en effet apparu qu’il était beaucoup plus intéressant de jouer à cache-cache avec les copains que de faire un éternel aller-retour dans l’allée située juste sous les fenêtres de notre appartement, même sur des patins ! D’autant que nos immeubles possédaient des caves qui offraient de nombreuses cachettes. Nous pouvions entrer par un escalier, descendre dans les caves, ressortir à l’autre bout de l’immeuble par un autre escalier, sans compter certaines caves inoccupées qui nous permettaient de laisser passer nos poursuivants sans être vus.

A la maison, nous n’avions pas la télévision. Celle-ci ne fit son apparition dans le foyer que vers 1966. Par contre, un de nos voisins dont le fils était un camarade d’école de mon frère, possédait un poste. Ainsi, mon frère et moi étions régulièrement invités à monter au troisième étage afin d’admirer la « La piste aux étoiles », émission fétiche des années 60. C’était le mercredi soir et nous attendions toujours 

ce programme avec impatience. Voir ainsi dans une petite fenêtre grise les animaux sauvages défier leur dompteur, ou bien les jongleurs, les trapézistes, les clowns, tout ce qui fait la vie d’un cirque, nous laissait éblouis.

Nous étions  pourtant habitués à voir des spectacles de cirque car chaque année à Noël, grâce à l’entreprise où travaillait mon père, nous avions droit à un jouet, des bonbons et une grande représentation au cirque Bouglione. Nous étions particulièrement privilégiés je dois  l’avouer, car cela nous valait d’avoir des Noëls un peu hors du commun. Outre ce spectacle de cirque, nous passions un après midi dans un théâtre avec spectacle de variétés, le tout accompagné d’un goûter et de bonbons. A cela s’ajoutaient les cadeaux de nos parents, toujours très beaux, ma mère choisissant régulièrement les jouets les plus chers ! Jouets tellement beaux que là encore, il était interdit de jouer avec des camarades. C’est ainsi que j’eus un landau magnifique, probablement le plus grand qui devait exister à l’époque, mais  je n’eus jamais le droit de m’en servir en dehors de la maison !!! Imaginez vous promener dans un appartement meublé avec un landau !! Résultat, j’en fis peu de cas, et ce n’est que très rarement que je l’utilisai. Je reçus un jour, une magnifique mallette de médecin. La valisette me sert encore actuellement à ranger un certain nombre de papiers. J’eus également, entre autres jouets, une superbe poupée que j’ai toujours. Je n’avais pas le droit de jouer avec elle, car je risquais de la casser, et elle coûtait très cher !!! Cette phrase, je devais l’entendre bien souvent tout au long de mon enfance, de mon adolescence, et je l’entends encore maintenant.

Toujours grâce à l’emploi mon père, je partais en colonie chaque année, et même deux fois dans l'année : à Pâques et aux grandes vacances. C'est ainsi que je voyageais aux quatre coins de l'hexagone. Ma mère m'envoyait à la montagne pour les vacances de Pâques et à la mer pour celles d'été.

Les trajets s'effectuaient soit en autocar, lorsque la colonie ne se situait pas trop loin, soit, et c'était le plus souvent le cas, en train. Les départs avaient lieu à la Porte de Versailles. Je me souviens d'un vaste hall divisé en multiples parcelles. Dans chacune d'elles, des rangées de bancs alignés. Chaque parcelle correspondait à une destination, mais aussi à une tranche d'âge.

Au contraire de mon frère, j'adorais partir en colonie. C'était, je pense, la possibilité qui m'était offerte de laisser libre cours à mon énergie. Lorsque nous arrivions dans le hall, je n'avais de cesse de pénétrer dans "ma parcelle". Généralement en dix minutes, je m'étais déjà fait quelques copains ou copines, souvent des alliés qui allaient déterminer le cours de notre séjour. Alors que beaucoup d'enfants de mon âge souriaient tristement à leurs parents restés derrière les barrières attendant le départ, effectuaient de la main les derniers gestes d'adieu, moi je commençais mon chahut, ne m'occupant nullement du regard furibond d'une mère qui voyait sa fille s'agiter en tous sens et perdre rapidement toute retenue.

Dans le train qui nous emmenait à destination, nous avions généralement une distribution de repas froid, ensuite il était temps de dormir. C’était précisément à cet instant que le chahut commençait. Et bien sûr, le compartiment le plus agité était celui dans lequel je me trouvais. Coïncidence ?? Peut-être, mais pas sûr ! Les convoyeurs qui étaient en principe des agents EDF bénévoles, avaient bien du mal à arriver à bout de nos frasques. Finalement c’était bien souvent la fatigue qui avait raison de notre énergie et nous finissions par nous endormir tous, à tour de rôle. Arrivés à la gare, un autocar prenait le relais pour nous mener à notre destination finale.

Là, nous étions répartis par équipes d’une dizaine d’enfants. On nous présentait  notre monitrice. Commençait alors pour moi la petite partie de bras de fer avec celle qui m’aurait sous sa coupe durant le séjour. Je n’étais pas là pour me faire diriger, et je testais  la jeune fille qui allait avoir la lourde charge de m’encadrer durant 15 ou 30 jours selon les cas. Si je m’apercevais qu’elle était douce et gentille, tout allait pour le mieux, par contre si la monitrice faisait montre d’une autorité certaine, tout était bon pour la faire changer d’attitude. J’avais très vite compris qu’au contraire de l’école, je ne pouvais être punie et j’avoue qu’il m’est assez souvent arrivé d’abuser de cette situation. Mais le plus souvent, la monitrice était une jeune fille fort sympathique qui devenait fréquemment une amie avec laquelle je correspondais de longs mois voire de longues années pour certaines. Je recherchais auprès d’elles l’affection que je n’avais pas auprès de ma mère et d’ordinaire je la trouvais.

L’une d’entre elles m’a plus particulièrement marquée et encore maintenant je pense à elle me demandant ce qu’elle a bien pu devenir. Elle se prénommait Danielle et était d’une gentillesse et d’une douceur extraordinaires. Elle résidait à Lyon et nous avons correspondu durant de nombreuses années, jusqu’à son mariage. Je me souviens que tous les ans à Noël elle me faisait parvenir des bonbons, spécialités de Lyon. Dans la colonie où nous nous étions connues, nous avions adopté un pauvre chien errant que nous avions prénommé Dick. Bien sûr, le jour de notre départ, cette pauvre bête devrait rester seule. Quelques jours après être rentrée à la maison, je reçus une lettre de Danielle à laquelle était jointe une photo de ce brave chien qui s’était, après que je sois partie, confortablement installé sur mon lit. Pour me rassurer, Danielle m’avait garanti que Dick avait été adopté. Aujourd’hui, je doute que cette brave bête ait été réellement adoptée. Mais je remercie Danielle de me l’avoir fait croire, car je m’étais attachée à ce chien qui me rendait bien mon affection, du reste. Dans la correspondance échangée avec Danielle, je confiais mes secrets, et je me souviens que très gentiment et patiemment, elle répondait à mes questions, à mes inquiétudes aussi, et s’il n’y avait pas eu une telle différence d’âge entre nous, je suppose qu’elle serait devenue une très grande amie. Mais la distance, l’âge aussi, la vie nous séparèrent petit à petit et bientôt je n’eus plus de ses nouvelles, à mon grand regret.

Dans ces colonies, les vêtements nous étaient fournis. En effet, dès notre arrivée, il nous était remis, en fonction de la saison, shorts et polos sans manches, survêtements et, selon le lieu, nous avions des nu-pieds ou  des « pataugas », chaussures de toile marron à semelle de caoutchouc, ancêtres de la paire de baskets. L’été, à la mer, on nous fournissait également les chapeaux. Impossible de nous perdre ! Le seul problème était que, à l’instar des appelés du contingent, il nous arrivait d’avoir un short ou un maillot bien trop grand ou, à l’inverse, beaucoup trop petit  pour nous.

Outre les grandes promenades en forêt ou sur les routes de campagne et de montagne et les longues heures passées à la plage, nous avions de nombreuses activités. Tout au long du séjour, une des  principales consistait à préparer la fête qui se déroulerait pour clore notre séjour. Nous devions donc préparer un spectacle, apprendre des textes, des chansons et confectionner nos costumes de scène.

En tout, j’ai fait une bonne trentaine de colonies différentes et à chacune d’entre elles est lié un souvenir particulier ; une amitié…, plus souvent quelques bêtises…..Pourtant l’une d’entre elles me fut bénéfique. C’était ce que l’on nommait à l’époque « camps d’ados ». Cette année-là, j’étais à Ronce-les- Bains. Cette colonie offrait un séjour agrémenté d’un tour de l’Ile d’Oléron en bicyclette. Pour pouvoir participer à cette expédition, deux conditions devaient être réunies. La première, l’autorisation écrite des parents, la seconde savoir bien évidemment monter à bicyclette. Et quand je dis savoir, il fallait pouvoir lâcher le guidon d’une main pour indiquer notre intention de tourner à droite ou à gauche. Ma mère hésita longtemps à me donner cette autorisation, et je crois que mon père fut pour quelque chose dans la décision finale. Mais il me fallut apprendre à lâcher ce fameux guidon ! Pas facile lorsque l’on s’est contenté de faire du vélo dans une cour et que la dernière pratique de ce sport remonte à cinq ou six années en arrière ! Tous les jours, avec une camarade, je m’entraînais et le jour où je dus passer le test, je fus fin prête !

Ainsi, je partis  pour une randonnée d’une dizaine de jours en compagnie d’environ quinze de mes camarades et des monitrices. Nous devions emporter sur nos bicyclettes tout le matériel nécessaire à la préparation des repas, plus nos effets personnels. Ce poids supplémentaire n’était pas fait  pour me donner de l’assurance sur cet engin encore mal « apprivoisé ».  Heureusement, une camionnette s’était chargée du transport de nos toiles de tente.

Pour accéder à l’Ile, il nous fallut emprunter le fameux pont inauguré quelques semaines plus tôt par le Général de Gaulle en personne. Je n’étais pas très fière lors de ce passage !  Le vent soufflait et j’eus bien du mal à rester en équilibre sur ma bicyclette. Malgré de multiples crevaisons, je parvins à suivre le groupe et revins enchantée de cette nouvelle expérience. 

L’année suivante, je demandai à mon père une bicyclette, et je l’obtins. De ce jour, commencèrent pour moi quelques instants de grande liberté. Je fis de grandes balades avec des amis et j’échappai peut à peu à l’emprise maternelle, passant doucement de l’enfance à une adolescence sans problème particulier, puis à une vie professionnelle attendue avec impatience. Pour moi en effet, travail était synonyme de liberté.

Ce n’est que bien plus tard que je compris que nous n’étions jamais libres !!!

Mon enfance non seulement fut rythmée par l’humeur d’une mère constamment dépressive, mais également par les disputes qui éclataient régulièrement entre mes parents et les conséquences qui en découlaient.

Je me souviens d’un soir, je devais avoir dix ou onze ans, où mon père ne rentra pas. En fait il rentra, mais très tard dans la nuit. Le lendemain, ma mère nous informa que papa avait eu un accident. Inconsciemment je compris qu’elle nous mentait, il y avait autre chose, mais je ne savais quoi.

J’étais angoissée, et chaque soir je guettais le retour de mon père et m’inquiétais lorsque les minutes passaient sans que je ne le voie arriver.

Ce ne sont que de nombreuses années plus tard que j’appris par ma mère que mon père, en réalité,  avait tenté de mettre fin à ses jours. Bien sûr, ma mère ne manqua pas de qualifier cet acte de lâcheté. Elle n’essaya pas de comprendre pourquoi mon père en était arrivé à cette extrémité. Fière, il n’était pas question pour elle de se remettre en question une seconde.

A la même époque, alors que je m’inquiétais de voir mon père pleurer à la suite d’une énième dispute avec ma mère, celle-ci s’en prit à moi et me dit que ma naissance n’était pas souhaitée, pas plus que celle de mon frère du reste. Tout cela était la faute de mon père ! –chacun sait, que pour faire des enfants il faut être deux, visiblement ma mère ignorait ce détail !- Ce jour-là j’appris donc, sans trop comprendre, que tout avait été fait pour que cette naissance n’arrive pas à son terme, mais j’étais bien accrochée ! Alors contre mauvaise fortune il fallut faire bon cœur, voyant que je n’étais pas déterminée à me déloger de la chaleur utérine, ma mère se convainquit que je serais un garçon. Je naquis fille ! Décidément, j’avais mal réussi mon entrée dans ce monde inhospitalier !

 Malgré les jouets, les colonies, les vacances, il ne me reste pas de mon enfance l’impression d’avoir été heureuse. J’ai un vide en moi, il me manque quelque chose. La seule chose que j’ai toujours cherchée par la suite, au fil des années ; l’amour,  simplement m’avait manqué.

L’amour d’une famille unie.

Que ce soit seulement entre mon père, ma mère et mon frère, mais également avec mes oncles, tantes et cousins. Encore maintenant, malgré les efforts accomplis pour me tourner vers certains membres de ma famille, j’ai le sentiment d’avoir en face de moi des étrangers tellement les contacts avec eux ont été rares. Lorsque je rencontre mon frère, je suis triste de constater que nous n’avons rien à nous dire. Nous n’avons pas été habitués à nous parler, à nous confier l’un à l’autre, pas plus que nous n’avons été habitués à nous confier à nos parents toute discussion avec eux étant pratiquement impossible du fait de leurs disputes incessantes.

 L’amour…

Cet amour que seule une mère peut vous donner et qui détermine à jamais comment vous aborderez ce sentiment au cours de votre vie.

 

POURQUOI T’APPELER MAMAN ?

Est-ce que tu peux me dire au nom de quoi vraiment

Il faudrait malgré elle qu’elle t’appelle maman

Toi qui sans ménagement un jour a annoncé

Que l’enfant qu’elle était n’était pas désirée

 

Rappelle-toi ce jour-là, elle n’avait pas onze ans

Ta main qu’elle tenait soudain elle l’a lâchée

Car sans vraiment comprendre ce qui se passait

Elle sentit se vider son corps subitement

 

Réalisant soudain que tu faisais semblant

Lorsque sur tes genoux elle venait se lover

En croyant que tendresse, amour tu lui donnais

Et qu’en réalité tu ne l’aimais pas vraiment

 

As-tu jamais compris tout ce que tu brisais

Les rêves d’une petite fille qui se croyait aimée

Qui pensait que le monde dans lequel elle vivait

N’était fait que d’amour de joies et de beauté

 

As-tu réalisé qu’à partir de ce jour

Ailleurs ta petite fille allait chercher l’amour

Cet amour maternel que tu lui as volé

Elle l’a cherché souvent sans jamais le trouver

 

Combien de fois crois-tu qu’elle ait été déçue

Par toutes ces amitiés auxquelles elle avait crues

Es-tu consciente au moins du mal que tu as fait

Pour l’avoir mise au monde sans même la désirer

 

Aujourd’hui tu arrives au terme de ta vie

Et les années sur toi maintenant ont passé

Tu voudrais sur ta fille pouvoir encore compter

Alors que tu es seule sans même une amie

 

Mais cette fille vois-tu ne peux pas oublier

Et plus les années passent et plus elle t’en veut

Ta fille ne pourra pas et n’en déplaise à Dieu

Jamais te pardonner du mal que tu as fait

 

Est-ce-que  tu peux me dire au nom de quoi vraiment

Tu pourrais m’obliger à t’appeler maman

Car cette fille c’est moi ! Alors comment veux-tu

Que je te dise maman quand je ne t’aime plus

 

Béatrice Cressiot 19 avril 2001

MA SCOLARITE

Je pense avoir été une enfant comme les autres, un peu dissipée parfois il est vrai, mais  j’ai malgré tout l’impression d’avoir été studieuse.

J’étais vive, rieuse, aimant jouer. Je pense que je considérais l’école comme un lieu de liberté.

D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais eu de chance à l’école. J’étais dissipée, je l’ai dit, ce qui me valut de n’être jamais prise au sérieux dès que je faisais bien involontairement une bêtise. Il me revient en mémoire une histoire de petite souris blanche. Cela se passait à l’école maternelle ; dans la classe, il y avait une cage où s’agitaient gentiment deux ou trois petites souris blanches. Chaque jour, nous leur donnions à manger, et régulièrement , il fallait nettoyer l’habitacle de ces petites bêtes. Pour ce faire, la maîtresse sortait délicatement chaque petite souris de la cage, confiant chacune d’entre elles à l’un de nous. Devant mon insistance, elle m’en confia une, me recommandant de faire bien attention à ne pas la laisser s’échapper, recommandation qu’elle avait dû faire à mes petits camarades investis de la même responsabilité. Bien évidemment, la seule petite bête qui s’échappa des mains de son gardien provisoire fut celle qui m’avait été confiée ! Après une chasse effrénée pour récupérer la petite fugueuse et la remettre dans son domicile, la maîtresse me gronda, et j’eus beau expliquer que ce n’était pas ma faute, je ne l’avais pas fait exprès, rien n’y fit ;  je fus punie et ne reçus plus jamais de petite souris entre les mains.

Je n’étais pas une excellente élève, peut-être aurais-je pu l’être, mais je fis une scolarité régulière, me contentant d’être dans la bonne moyenne, m’appliquant surtout à ne jamais être la première de la classe, ayant compris par l’expérience de mon aîné, que ma mère mettrait un point d’honneur à ce que je conserve cette place !

Je ne faisais pas partie de ces élèves qui arrivaient le matin à l’école avec des fleurs pour la maîtresse. ce qui me valait d’être traitée plus sévèrement.

Une autre chose contribuait à me faire considérer comme une élève à part. Deux fois par an, nous devions apporter à l’école du papier de verre et de la cire. C’était le nettoyage des pupitres. Ma mère se refusait systématiquement à nous donner ce matériel,  estimant que nous étions à l’école pour apprendre et non pour y faire du ménage. Il nous fallait donc emprunter papier de verre et cire aux petits camarades, ce qui ne se faisait pas toujours facilement.

J’étais souvent punie parce que trop dissipée. Mais avec le recul, je crois sincèrement que j’étais aussi l’objet de discriminations. Je ne pouvais absolument rien faire sans qu’aussitôt le coup de sifflet ne retentisse. Je me souviens d’un jour d’hiver ; je discute tranquillement dans la cour avec mes camarades tout en rabattant machinalement à l’aide de mon pied droit la neige sur mon pied gauche. Subitement, un coup de sifflet retentit. Aussitôt, toutes les voix se taisent. Dans la cour, plus un bruit. La maîtresse m’interpelle, me fait remarquer que mes souliers sont mouillés et immédiatement me punit. Je dois regagner la classe. Deux heures durant je me retrouve installée sur l’estrade, les mains sur la tête et les deux pieds débarrassés des chaussures mouillées, placés dans la corbeille à papier. Situation fort inconfortable, vous en conviendrez !

 Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai été privée de récréation pour avoir donné une réponse à une question posée sans avoir levé la main. Ayant remarqué que la maîtresse ne m’interrogeait jamais lorsque j’avais la main levée, j’avais pris la décision de donner la réponse que je pensais bonne sans attendre d’être invitée à le faire.

 Aux punitions infligées par la maîtresse, qui faisaient systématiquement l’objet d’un mot dans le cahier de correspondance, s’ajoutaient bien souvent celles données par ma mère. Très vite je compris que la seule solution pour éviter que la punition ne soit doublée, était d’imiter la signature de cette dernière. Au début, cette opération fut facile, ma mère n’avait qu’un paraphe très simple consistant à tracer un grand « C « de forme allongée, à l’intérieur duquel elle inscrivait les initiales de son prénom « ML ». Mais un jour la maîtresse inscrivit un mot sur le cahier de correspondance demandant à mes parents de bien vouloir éviter d’apposer uniquement leurs initiales mais  signer normalement toute correspondance. Sans doute  avait-elle remarqué ma supercherie. Il ne me fallut pas longtemps pour imiter la signature de mon père, celle de ma mère quant à elle était et reste inimitable !

 Et voilà comment la délinquance peut commencer !

 Alors que, trop souvent à mon goût, je me trouvais être punie, paradoxalement, lorsque j’étais prise à partie par des camarades et que celles-ci me rouaient de coups de poings et de pieds, voire déchiraient mes vêtements, aucune punition ne tombait. Et là encore, rentrée à la maison je devais affronter le courroux d’une mère qui ne cherchait absolument pas à comprendre ce qui s’était passé.

Très tôt je découvris ce qu’était l’injustice, peut-être cela détermina-t-il mon comportement dans la vie ensuite. Encore maintenant, je ne peux la supporter.

J’arrivai au cours moyen deuxième année qui débouchait soit sur le passage en cours secondaire, soit en fin d’études primaires. Comme d’habitude, je fis un premier trimestre moyen, bien vite compensé par un second nettement meilleur puisque je fus troisième de la classe. Ceci me permit sans doute d’entrer en sixième sans examen, au grand étonnement de mon institutrice. Il ne se passa pas un seul jour, du 1er au 30 juin, dernier jour d’école, sans que celle-ci ne me demande : « Tu n’as toujours 

pas reçu de convocation pour ton examen ? » Invariablement je répondis fort poliment : « Non madame, toujours pas ».

 Mon arrivée au collège déclencha un changement radical de mon comportement. Intimidée par le nombre de professeurs différents, quelque peu perturbée par le changement de classe que nous pratiquions à chaque cours, je m’habituai mal à ce nouvel environnement et commençai à me fermer comme une huître. La timidité s’empara de moi et fut ma fidèle compagne de nombreuses années encore.

 Je fus là aussi une élève moyenne. J’avais la fâcheuse habitude de n’apprendre que ce qui m’intéressait. C’est ainsi que j’étais excellente en histoire, mais nulle en géographie. Je n’aimais pas non plus la physique chimie, par contre j’obtenais d’excellents résultats en français.

 Je gravis les échelons, sixième, cinquième, quatrième. Ensuite, je pris la décision de m’orienter vers les cours commerciaux. Les études me lassaient, et je voulais apprendre un métier.

 Je ne changeai pas de collège, les cours étant dispensés dans le même établissement. En trois années, j’appris le secrétariat, la comptabilité, je pris l’option « anglais ». A toutes ces matières s’ajoutèrent, comme au cours secondaire, l’histoire, la géographie, les maths et le français. Plus de physique chimie, mais en contrepartie, cuisine et couture dont il me reste peu de chose !

 Cette période de ma scolarité correspond à la fameuse « révolution de mai 68 ». Un peu jeunes pour nous intéresser de très près aux évènements du moment, nous en eûmes vite les retombées. Un changement s’opérait au collège. Imperceptiblement. Nous commençâmes à avoir des débats avec nos professeurs sur des thèmes différents. Je me souviens que le premier d’entre eux avait eu lieu avec notre professeur de français, et concernait, à notre demande, les rapports garçons et filles et l’amour. Vaste sujet !

 Au cours de ce débat il nous fut demandé de faire le portrait de nos futurs maris. J’aimerais aujourd’hui retrouver mes camarades et voir si leurs conjoints respectifs répondent point par point aux critères qu’elles s’étaient fixés J’étais catégorique, je ne voulais pas me marier. Vingt ans plus tard, je ne regrette pas l’avoir fait !

 C’est ce jour-là aussi que notre professeur nous expliqua que la beauté n’était pas tout dans la vie, et que bien souvent les garçons s’amusaient avec « les Belles » mais qu’en fait ils épousaient celles dont l’excellence était à l’intérieur.

 J’ai par la suite bien souvent vérifié cette assertion.

La vie au collège changea. La directrice nous réunit un jour dans le préau et nous informa des modifications du règlement de l’établissement. Dorénavant, nous aurions le droit de fumer, mais uniquement dans la cour ; nous ne serions plus obligées de porter des blouses sur lesquelles étaient inscrits, en haut et à droite notre nom et la classe à laquelle nous appartenions. A partir de ce jour également, liberté totale était donnée à notre tenue vestimentaire. Pour les jeunes filles que nous étions, ce fut une grande libération ! C’est à ce moment là que je commençai à m’intéresser de plus près à la mode.

 C’est à ce moment aussi que j’eus mon premier flirt.

 A l’issue de ces trois années, je passai avec succès mon C.A.P. et décidai d’entrer dans le monde du travail, bien que la possibilité me fût offerte de continuer deux années supplémentaires pour obtenir le bac.

 Au cours de ma scolarité, j’eus de nombreuses camarades, de très bonnes camarades même, mais jamais d’amies. Nos relations en effet se limitaient à nos seuls contacts scolaires puisque ma mère ne m’autorisa pas à sortir avant que je n’atteigne seize ou dix sept ans.

SECOURISTE

A quinze ans, timide et renfermée, mes parents décidèrent de m’inscrire à la Croix Rouge Française. Je passai avec succès mon diplôme de secouriste et m’enrôlai donc dans cette association entièrement dévouée aux autres.

Ce furent probablement là les meilleures années de ma jeunesse. Je me souviens de cette bande de copains que nous formions, du premier flirt, puis du premier amour.  Nous passions  tout notre temps libre ensemble. Le dimanche sur les routes, attendant dans un bungalow de la Croix Rouge que les gendarmes viennent nous chercher pour intervenir sur un accident. Ou bien, plus sympathique, nous suivions une course cycliste à bord d’une vieille Dauphine ou d’une 403 ! On ne parlait pas encore d’ambulance dans notre équipe à ce moment là et seuls nos véhicules personnels étaient utilisés.

Lorsque nous n’étions pas en poste, nous nous retrouvions chez les parents de Jocelyne qui faisaient construire une maison à Tours.

En général nous partions à trois ou quatre dans ma voiture. Nous emportions une tente et campions. Les premiers temps, près de la maison en construction. Ensuite, pour plus de liberté, nous choisîmes de planter notre tente près de  la ferme appartenant aux cousins de nos amis.

Nous vivions au rythme de la ferme et aidions volontiers aux travaux de celle-ci  comme par exemple le ramassage des bottes de foin. Dans cette ferme, pas de machine, c’était à la fourche qu’il nous fallait hisser les lourdes bottes sur le chariot. Je me souviens que les premières furent montées sans aucune difficulté, mais il n’en fut pas de même quand la hauteur de celles-ci atteignit quelques mètres. Là, il fallait piquer les bottes et les lancer à celui qui était perché sur le tas déjà formé. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai jamais réussi à lancer la moindre botte aussi haut !

Chaque semaine, le vendredi soir, nous nous réunissions. Nous faisions le point sur les différents postes de secours à assurer. Nous cherchions aussi des idées pour gagner un peu d’argent, car à cette époque, les secouristes devaient se débrouiller seuls pour acheter leurs uniformes, mais également acheter et entretenir le matériel de secours. C’était le véritable bénévolat, le don de soi !

C’est ainsi que j’appris à enduire, peindre, scier, en un mot bricoler,  je pratiquai aussi la mécanique auto (ce qui m’a permis par la suite d’étonner celui qui deviendrait mon mari). Nous n’avions peur de rien, nous chargions des tonnes de vieux papiers, chiffons, bouteilles, jusqu’à de vieux métaux pour gagner quelques francs.

En mars, nous allions dans les bois, faire la razzia des jonquilles et nous nous placions aux coins des rues pour vendre notre modeste récolte. Le premier mai, traditionnellement nous vendions le muguet porte-bonheur. Là, pas question d’aller en forêt, quoique nous le fîmes une année ou deux, mais sans grand résultat, trop vite en effet le muguet ainsi cueilli montrait ses faiblesses et devenait invendable. Rapidement est apparue l’idée qu’il fallait investir si nous voulions gagner quelques sous. Très vite la décision fut  prise de nous rendre aux Halles pour acheter notre muguet. Nous passions toute la nuit à lier les brins entre eux, les couplant d’une rose et, chose plus délicate, à entourer le bouquet ainsi confectionné d’une feuille de papier cristal. Dès 6 heures du matin, nous nous installions aux points stratégiques de la ville (gare, Monoprix, Marché) et nous passions toute la journée ainsi, tentant de rentabiliser notre investissement !

Une année, nous décidâmes de mettre à profit la période des fêtes de Noël et de nouvel an, pour gagner un peu d’argent en revendant des bouteilles de champagne vides.

Nous nous employâmes donc à annoncer aux habitants de deux cités que nous passerions chez eux dans l’après midi de Noël, ou du jour de l’an. Nous leur demandions d’avoir la gentillesse de déposer leurs bouteilles vides devant leur porte sur le palier. Il n’était pas question pour nous en effet, de les déranger dans leurs festivités.

Le jour « J », nous nous répartîmes par équipes de deux, chaque équipe étant munie d’une caisse pour la récupération des bouteilles.  Le but était de monter au quatrième et dernier étage et de remplir notre caisse au fur et à mesure de notre descente. Ce devait être, d’après moi, un travail facile. Mais c’était sans compter sur la générosité des habitants de ces cités. Très vite nous fûmes débordés par l’ampleur de la tâche. Cependant, nous eûmes à cœur de mener à bien notre dur labeur et passâmes chez tous les habitants sans exception.

Quelques jours plus tard, nous allâmes revendre notre butin au coût de dix centimes la bouteille. Inutile de préciser que la recette ne fut pas à la hauteur de la sueur versée !

Je me souviens d’une idée qui me vint et fut adoptée à l’unanimité. J’étais douée en dessin, et suggérai la fabrication de cartes. J’en dessinai quelques-unes que l’on photocopia. Tout le monde devant participer, il fut décidé que chacun d’entre nous, en fonction de son inspiration du moment, les peindrait. Le résultat fut souvent agréable, parfois surprenant ! Chaque dessin peint, fut ensuite découpé, posé sur une feuille cartonnée et le tout recouvert d’un film transparent auto-collant. Nos cartes, tout bien considéré, avaient fière allure ! (Je transformai d’ailleurs la salle à manger familiale en atelier !) Et nous en vendîmes énormément.

C’est sans conteste cette vente qui nous permit d’acheter notre première ambulance. Mais devrais-je écrire « ambulance » ?

Nous nous étions procuré, comment, je ne sais plus, une vieille Estafette Renault. Parmi nous, des menuisiers, des peintres, des ajusteurs ou des serruriers. Tous ces corps de métier réunis accomplirent le miracle du siècle ! Transformer un vieil utilitaire en véhicule sanitaire ! On ne parlait pas de normes de sécurité à l’époque ! Et ayant été moi-même victime d’un accident et transportée par Police Secours, j’imagine fort bien la frayeur que pouvaient ressentir nos « clients » !

Extérieurement le véhicule était parfait, nous l’avions repeint en bleu (couleur officielle à ce moment là)  j’avais une fois encore mis à profit mes dons artistiques : de chaque côté de l’ambulance, deux magnifiques croix rouges étaient dessinées, suivies de l’inscription « CROIX ROUGE FRANCAISE ». L’intérieur quant à lui était aménagé de petits placards dans lesquels nous pouvions ranger pansements et petit matériel de soins. Nous pouvions transporter deux blessés à bord en même temps. Nous avions en effet réalisé des supports de brancards en grosses cornières.

Nous n’étions pas peu fiers de circuler dans les rues de la ville avec notre monstre ! A cette époque, nous nous fîmes connaître de notre municipalité en participant à la grande et traditionnelle fête des associations se déroulant sur le stade de la ville.

Nous organisions chaque année une démonstration de secourisme. Nous étions probablement des précurseurs en la matière, car nous reproduisions l’accident grandeur réelle. N’hésitant pas en effet à impliquer nos véhicules personnels jusqu’au jour où je dus changer la portière de ma voiture !

Cette année-là en effet, nous avions mis au point une simulation d’accident avec éjection du passager lors d’un choc frontal ; nous disposons des bottes de foin censées représenter l’obstacle. J’arrive au volant de ma voiture (une Renault 8) et je pile sur l’obstacle. A ce moment précis, le passager avant s’éjecte du véhicule. Tout se passe très bien. Des témoins appellent les secours, l’ambulance arrive à grands renforts de « pin-pon » et nous expliquons à nos spectateurs comment s’occuper d’un accidenté sans aucun danger d’aggravation pour l’état de la victime. L’ambulance repart en direction de l’hôpital, son blessé à bord. La démonstration souvent répétée est parfaite et nous sommes fort satisfaits de notre prestation.

Mais, lorsque je veux dégager mon véhicule j’aperçois les dégâts. Dans le feu de l’action, mon camarade qui simulait l’éjection, a poussé un peu trop fort sur la portière avant, et celle-ci ne tient plus que par un fil !

Bien sûr on pouvait imputer cet incident à notre goût de la perfection, mais cela ne fit pas mon bonheur ! (la facture fut salée pour mon petit budget)

 Ce fut ma dernière démonstration, car quelques mois plus tard je fus moi-même victime d’un accident grave dont je porte toujours les séquelles.

 Durant cette période, je suivai des cours de spécialisation. Je devins spécialiste en réanimation, mais j’abandonnai la spécialisation en secours routier, car trop difficile physiquement. Il fallait en effet apprendre à découper des carcasses de véhicules et le maniement des scies et chalumeaux n’était pas mon fort.

Je me lançai également dans une spécialisation d’auxiliaire sanitaire. Là j’appris à faire les piqûres. (intra-musculaires uniquement). Je commençai un stage au service des urgences de l’hôpital. C’est là que je pris conscience de la misère humaine. Malheureusement, l’accident du 15 septembre 1972 m’obligea à abandonner cette formation.

De toute la bande de copains que nous formions, je n’ai gardé dans mes relations que Jocelyne avec qui nous allions à Tours. Elle-même s’est d’ailleurs installée dans la région, et de temps en temps nous nous retrouvons toujours avec le même plaisir.

SALETE D'ACCIDENT

Septembre 1972, le 15 précisément, je reviens de mon travail d’humeur joyeuse. Demain je pars en vacances !! Et pour la première fois  avec l’homme de ma vie. De ma vie ? Du moins je le croyais.

18h 15, comme tous les soirs, je prends mon train  la tête remplie d’une foule de choses (récupérer la voiture chez le garagiste, préparer la valise sans rien oublier).

Au fond du cœur un grand point d’interrogation : comment cela va-t-il se passer ? Ces vacances seront-elles inoubliables ? Je suis plongée dans mes pensées…

Subitement, alors que nous arrivons en gare, un passager désinvolte ouvre les portes du train, juste devant moi, et en un instant tout s’écroule.

Je suis irrésistiblement happée à l’extérieur du wagon. J’essaie de m’agripper à la main courante, mais impossible , en quelques secondes je me retrouve aspirée sous le marchepied, hurlant de frayeur, le train continuant à rouler.

 La mode de l’époque m’a probablement sauvé la vie et la jambe !  Vêtue d’un pantalon « pattes d’éléphant », celui-ci se prit dans les boggies m’empêchant ainsi de glisser irrémédiablement sous les roues du train ! Ainsi coincée, je parcours 25 à 30 mètres sur les traverses de la voie ferrée, la tête heurtant chacune d’entre elles.

Cette chute qui n’a probablement pas duré plus de quelques secondes, m’a paru bien au contraire durer des heures ! J’ai encore dans la tête le bruit d’enfer des roues crissant sur les rails, le signal d’alarme ayant été actionné par d’autres passagers.

Enfin le train s’arrête, l’angoisse me prend. Ne va-t-il pas repartir ? Ce cauchemar ne va-t-il pas recommencer ? Alors je me mets à hurler, persuadée que personne ne m’a vue tomber.

Mais très vite, je suis détrompée, déjà quelqu’un est près de moi, me tenant la tête et essayant à toute fin de me mettre un mouchoir dans la bouche, mouchoir que systématiquement je retire. Puis je sens une douleur incroyable, et de nouveau l’angoisse me prend. Ma jambe ? Qu’est devenue ma jambe ? Dans quel état suis-je ? La tête bourdonne, je ne peux plus bouger.

A cet instant précis, j’aurais aimé ne jamais avoir pris de cours de secourisme ! Trop de choses passent dans mon esprit, était-ce la colonne vertébrale ? Allais-je pouvoir marcher ? J’étais en vie, mais quelle allait être ma vie maintenant ?

J’eus rapidement les réponses à ces questions, je m’en tirais à moindre mal. Une jambe très abîmée, mais entière, la tête bien endommagée, traumatisme crânien avec trois plaies profondes, un dos en compote, avec tassement de vertèbres, plus de peau.

La faculté ayant décidé que le tout ne devait pas me handicaper gravement, me laissa persuadée que mon départ en vacances n’était reporté que de quelques jours. On me fit très vite redescendre sur terre ! Je m’en tirai avec trois mois d’hôpital pour venir à bout de tous ces dégâts ! Et pour terminer s’ensuivirent des mois de rééducation.

 Pendant ce temps, l’homme de ma vie partit en vacances avec ma voiture et se consola comme il put avec ma meilleure amie du moment ! Résultat, plus d’amour, plus d’amie non plus.

 Ce séjour en milieu hospitalier, fort peu agréable, ne me laissa pas que de mauvais souvenirs, bien au contraire.

 L’hôpital prévenu par radio de mon arrivée, attendait avec impatience la pauvre loque que j’étais devenue.

 Sitôt le brancard sorti de la fourgonnette de Police Secours, direction le bloc opératoire. Tout de suite, on s’occupe de moi. Je deviens le centre d’intérêt : radios sous toutes les coutures, perfusion pose de sonde etc.

 Un médecin bien intentionné entreprend de recoudre à vif les premières plaies du visage. Une infirmière se tenant près de moi,  me tend sa main à serrer pour éviter de crier. Je m’en saisis et la serre si fortement, que lorsqu’elle me retrouve quelques jours plus tard dans ma chambre, elle m’avoue qu’elle pensait bien que j’allais la lui briser.

 Afin d’évaluer l’étendue des dégâts de ma jambe, je me retrouve sous anesthésie.

 Lorsque je me réveille, je suis dans une chambre seule, allongée à plat dos sur le lit, des tuyaux partout, la jambe raide coincée dans une sorte de gouttière en plâtre. L’espace de quelques instants, je me demande où je suis, ce que je fais là.

 Je veux me redresser dans le lit, mais j’en suis incapable. J’ai l’impression d’être prise sous une chape de plomb !

 Une infirmière arrive et m’explique que j’ai eu beaucoup de chance, et avec un grand sourire m’annonce que je ne pourrai pas me lever avant deux ou trois mois !

Impossible de m’alimenter, je suis nourrie par l’intermédiaire de la perfusion, et je fais une consommation assez impressionnante de culots de sang.

Pour le reste, système débrouille !! Je réapprends par exemple à boire à la paille ; un long tuyau de plastique dont une extrémité est fichée dans la bouteille d’eau, la seconde étant portée à ma bouche en cas de nécessité.

Dès que la nouvelle de mon accident fut connue, il y eut dans ma chambre un défilé incessant de collègues, d’amis, de voisins, d’amis des amis et tout de même, quelques membres de ma famille. J’avais l’impression d’être la bête rare que l’on venait voir. Pensez donc, je devais être la seule personne qui se soit sortie aussi bien d’un tel accident !

J’eus même la visite d’un inspecteur de police venu enquêter sur les circonstances de cet accident. C’est à ce moment que j’appris que tout avait été dit, sauf l’exactitude des faits ;

-          On prétendit  que j’avais voulu mettre fin à mes jours

-          Ou bien encore que mon mari m’avait poussée

-          On dit également que j’avais voulu descendre du train en marche.

Ce policier avait apporté avec lui un livre de Zola, trouvé sur les lieux de l’accident ce qui induisait qu’il m’appartenait. Mais non, je n’avais jamais lu Zola, ce livre n’était pas à moi. Ma réponse toute bête le laissa perplexe, mais il continua malgré tout son interrogatoire et partit, m’informant qu’il reviendrait très probablement quelques jours plus tard.

Je me souviens que les premières personnes venues me voir, restaient à la porte indécises. Devaient-elles entrer ? Dans quel état allaient-elles me trouver ? Mes visiteurs entraient , et dès qu’ils posaient les yeux sur moi, je m’apercevais à leur visage que quelque chose n’allait pas. Ne pouvant bouger, je finis par demander un miroir, ce qui me fut refusé, mais devant mon insistance, je pus enfin voir à quoi je ressemblais ! Ce n’était effectivement pas très beau ! En fait, impossible de reconnaître Béatrice sous toutes ces tuméfactions et ces coutures pratiquées au bloc ! Je pris à ce moment-là seulement, conscience de la gravité de mon état.

Je restai deux mois couchée, sans pouvoir du tout me lever. Durant cette période il fallut soigner les plaies, la jambe et le dos, la fesse aussi. Le ballast sur lequel j’avais été traînée ne m’avait pas fait de cadeau. Laissant ma chair à vif, comme celle des grands brûlés ! Tous les deux jours, le calvaire du changement de pansement arrivait ! Bien que gras, les pansements s’acharnaient à coller à cette peau martyrisée qui pleurait sa lymphe. Chaque deux jours il fallait donc imbiber les pansements pour les décoller patiemment. Malgré toute la délicatesse dont faisaient preuve les infirmières ceci ne se faisait pas sans douleur. Les jours de beau temps, les infirmières me tournaient sur le côté, dos vers la fenêtre de la chambre, afin que le soleil de ses doux rayons d’automne puisse accélérer la cicatrisation.

Le jour vint enfin où je pus du lit passer au fauteuil ! L’espoir renaissait et avec lui, l’envie de lire, de dessiner aussi. Je commençai donc la lecture des quelque 30 livres qui étaient arrivés dans ma chambre au fil des visites. Cette  chambre ressemblait d’ailleurs plus à une chambre d’hôtel particulier qu’à celle d’un hôpital ; des fleurs partout ! il fallut chercher des vases, des tables pour disposer le tout, des corbeilles débordantes de fruits frais ou secs, des tonnes de bonbons… A tout cela il fallait ajouter la télévision que j’étais seule à posséder. Gilbert, un collègue de travail, devenu mon ami, s’était employé à convaincre mon employeur qu’il fallait louer une télévision pour que je puisse me distraire (à cette époque, les hôpitaux s’ils étaient équipés en téléviseurs, n’avaient pas pour autant équipé toutes leurs chambres comme actuellement).

Je me plais à repenser à la visite du chirurgien et de sa suite. Au fil des semaines, l’habitude fut prise de me visiter en dernier, j’ étais en quelques sorte le havre de paix pour toute cette équipe qui passait auprès de moi plus de temps que pour les autres patients, jetant un œil à la télévision, plongeant la main dans les paniers, repartant ainsi les poches garnies de sucreries !

Et vint le jour où enfin je pus me lever !  Je m’en fis une joie ! La veille, j’avais reçu les outils nécessaires à cette première ! Une paire de béquilles flambant neuves.  J’étais persuadée pouvoir me promener des heures durant. La déception fut grande ! A peine 5 ou 6 pas, que déjà, l’œil tournait !

Puis, à force d’insister, un jour je réussis à parcourir le couloir dans son entier. J’usai donc non pas mes semelles, car interdiction m’était faite de prendre appui sur ma jambe, mais les caoutchoucs de mes béquilles en aller et retour incessants dans ce long couloir triste. Au fil des jours, je m’enhardis, et je devins une « pro » de la marche à trois pattes !Je bénéficiai, de la part du personnel soignant, d’un traitement de faveur. Je fus autorisée à arpenter le couloir aussi souvent que je le souhaitai. D’autre part, au moment des repas, j’aidais à la distribution des plateaux.

Je m’occupai également d’une très vieille dame qui était hospitalisée dans l’attente d’une place dans un établissement spécialisé. Cette dame visiblement était atteinte de la maladie d’Alzheimer. Souvent elle sortait de sa chambre, sans rien sur elle, et je m’employais à la ramener doucement ce qui évitait de déranger les infirmières. Parfois, « mamie » à qui il restait quelque lueur de lucidité, se souvenait avoir été midinette chez un grand couturier et se mettait à me raconter cette partie de sa vie que je finis pas connaître par cœur.

Vint le moment où l’on parla de rééducation. Paradoxalement, c’est avec beaucoup de tristesse au cœur que je quittai l’hôpital. Je fis mes adieux à chacune des infirmières et aides-soignantes qui durant ces longs mois s’étaient si bien occupées de moi, partageant tout autant mes crises de larmes et mes moments de joie.

Il faut dire que moi aussi je partageais tout ou presque de leur vie.

L’une d’entre elle, la plus âgée, venait de perdre sa fille dans un accident de la route. Son instinct maternel l’avait tout de suite rapprochée de moi, qui lui rappelait son enfant de vingt ans.

Une autre, Jeannine, mariée et mère de famille, venait me raconter ses problèmes conjugaux. Je n’y comprenais pas grand- chose, et mon manque d’expérience en la matière ne me permettait pas de l’aider, je l’écoutais, ce devait probablement lui suffire.

Et  puis il y avait Betty. Ah ! Betty, aide-soignante originaire de la Guadeloupe, respirant le soleil et la joie de vivre antillaise qui me fit promettre de me rendre avec elle dans sa famille, promesse qui ne fut jamais tenue, car au fil des années nous nous perdîmes de vue !

C’est un peu grâce à Betty si, dans les moments de doute, j’ai relevé la tête. Je la revois me dire, roulant de gros yeux ronds, les joues bien rebondies, avec ce merveilleux accent des Antilles : « Béat’ice, tu dois manger, sinon tu ne vas pas gué’ir toi ».

Une ambulance m’attendit donc et me conduisit au centre de rééducation fonctionnelle situé à Saint-Cloud.

Dès la porte franchie, je fus prise d’une crise d’angoisse ! L’endroit était sombre, froid. Je revois l’ascenseur, étroit, une grille de fer qu’il fallait pousser sur le côté, avant d’accéder  à la porte que l’on devait ouvrir. Une fois que l’on était dans la cabine, il fallait recommencer les manœuvres en sens inverse, d’abord le rideau puis la porte que l’on refermait.

Je croyais être une pro de la marche à trois pattes, mais je compris dès cet instant, qu’il me restait encore beaucoup de chemin à parcourir.

Outre l’aspect matériel, cette première prise de contact me mit face à face avec un jeune homme en fauteuil. Je me demandai ce que je faisais là, moi qui étais debout, avec mes deux béquilles. Devant moi en effet, une scène à jamais gravée dans ma mémoire. Cet homme en fauteuil n’avait ni bras, ni jambes ! Et il devait lui aussi prendre seul, s’aidant de crochets qui remplaçaient les mains perdues,  cet infâme ascenseur ! Plus tard, je compris l’utilité d’un tel inconfort. Obligation était faite à 

chacun d’entre nous d’être autonome. Pas question en effet de s’apitoyer sur son sort.

On m’installa dans une chambre, plutôt un dortoir. Je comptai six lits, trois en face l’un de l’autre. Le mien était situé au fond de la pièce,  près de la fenêtre. Une fois mes affaires rangées, je m’allongeai sur ce lit, fatiguée par les efforts accomplis.

Je fis connaissance avec mes compagnes de chambre qui arrivèrent tour à tour, leurs soins  terminés. Je vis d’abord Gisèle à qui il manquait un bras, perdu un soir sur l’autoroute. Puis vint Cathy, clopin-clopant, le geste hésitant. J’appris très vite qu’un sale coup de sabot, l’avait plongée de longs mois dans un coma profond dont il fallait maintenant réparer les dégâts. Puis je vis arriver Brigitte, marchant dégingandée, les béquilles à la main. Après qu’elle m’eut demandé ce je faisais là, elle m’expliqua l’histoire de cette grosse moto tant convoitée, que ses parents, à contre-cœur, mais devant son insistance avaient fini par lui acheter. Cette ingrate, qui la planta là, elle et son copain, au détour d’un virage. Lancé à vive allure, l’engin subitement, pour on ne sait quelle raison, bloqua net sa course folle éjectant ses deux cavaliers. C’est ainsi que Brigitte se retrouva brisée sur un panneau directionnel et que malheureusement son ami disparut à jamais, sa tête bien que casquée n’ayant pas résisté à la bordure du trottoir.

Nous formions toutes les quatre une équipe formidable. Quand le moral de l’une était au plus bas, les trois autres étaient là  prêtes à l’épauler.

Parmi les pensionnaires de l’établissement, Serge, Patrick, Daniel et Jacques.

Le compte était bon, quatre garçons pour quatre filles. Chaque soir, après le dîner, nous nous retrouvions dans la salle de jeux. C’est là que j’appris à jouer aux cartes, la belote n’avait plus de secret pour moi. J’appris également à jouer au ping-pong. Pas facile sur une jambe de rattraper les balles, mais bien souvent, le partenaire n’était pas mieux loti, les chances de gagner étaient donc équilibrées, on jouait également au Volley dans cette salle. Pour cela, nous étions tous par terre, le filet surbaissé, ce qui permettait à ceux d’entre nous dont les jambes avaient disparu, de pouvoir jouer sur un plan d’égalité.

Pour accéder à la salle de jeux, je me souviens d’un large et long couloir. Très souvent nous empruntions des fauteuils roulants et nous nous engagions dans des courses folles. Très vite nous devînmes des virtuoses du fauteuil, le faisant virevolter à notre gré.

Peu de temps après mon arrivée, ce furent les fêtes de Noël. Pas question pour nous de partir en congés. Il nous fallut attendre le week-end, comme d’habitude. Alors, nous décidâmes de faire la fête entre nous. Nous avions rapporté de notre précédente permission, guirlandes, électrophone et disques. Nous n’avions pas oublié 

quelques gâteries. La veille du réveillon, nous entreprîmes donc de décorer notre chambre. Il nous fallut demander la permission d’accueillir les garçons dans notre salle de réception improvisée. Ceci fut accordé jusqu’à minuit. Nous fîmes notre petite dînette et au son de la musique nous nous mîmes à danser.

Nous étions tellement soudés dans l’adversité, que les week-ends, alors que nous étions en permission, et rentrions dans nos familles respectives, nous nous organisions des sorties, et nous retrouvions dans Paris ou ailleurs.

Puis vint enfin le moment de retourner dans nos foyers. Pas toujours guéris, bien sûr, mais en état, pour chacun d’entre nous de s’assumer dans la vie active.

Tout bien considéré, je garde de ce séjour un excellent souvenir. Oui bien sûr, il y eut des moments très difficiles, un corps brisé ne se répare pas aussi facilement qu’on peut le penser. Mais je ne veux garder présent à mon esprit, que cette tendre amitié, cette solidarité, cette volonté de vivre que seuls ceux qui ont approché la mort de très près, peuvent apprécier.

Ce retour d’un monde surprotégé, où nous nous sentions tous égaux devant l’adversité, fut sans conteste,  la plus mauvaise période de ma vie. Sortie du monde médical j’entrepris de me rebâtir des repères et me jetai à corps perdu dans la vie, ou ce que je croyais être la vie. J’enchaînais les flirts à tel point que je me perdais dans mes rendez-vous. J’allai plus loin avec deux d’entre eux.

Le premier, fut un copain secouriste qui était venu me voir chaque jour à l’hôpital. Très vite, il me fit part de ses sentiments. Il était gentil, trop peut-être, je venais de perdre mon premier amour, et je crus donc en cette deuxième chance.

Je m’engageai donc dans cette relation avec malgré tout l’impression d’être aimée sans aimer en retour. Puis nous décidâmes de nous fiancer à Noël.

En avril suivant,  un copain antillais rencontré au centre de rééducation, avec lequel j’avais flirté, m’adressa une lettre m’indiquant un numéro de vol et m’invitant à prendre le même avion afin de me rendre à la Martinique en sa compagnie, il m’en avait fait la promesse, mais j’avais oublié.

Tout d’abord je crus à une plaisanterie, mais non, il était sérieux. Je pris la décision de partir à la Martinique, après en avoir discuté avec Daniel, mon fiancé. Celui-ci me laissa partir à contre-cœur, mais malgré tout confiant, je lui avais juré mon amour pour lui ! Serge n’était après tout qu’un copain, qui représentait pour moi une période difficile de ma vie que je ne pouvais partager avec personne à ce moment-là, et j’avais encore besoin de parler de toutes ces difficultés rencontrées. J’imaginais que lui seul pouvait comprendre et me libérer de mes tourments. De plus, il était venu à nos fiançailles, donc pas de soucis !

qu’on peut le penser. Mais je ne veux garder présent à mon esprit, que cette tendre amitié, cette solidarité, cette volonté de vivre que seuls ceux qui ont approché la mort de très près, peuvent apprécier.

Ce retour d’un monde surprotégé, où nous nous sentions tous égaux devant l’adversité, fut sans conteste,  la plus mauvaise période de ma vie. Sortie du monde médical j’entrepris de me rebâtir des repères et me jetai à corps perdu dans la vie, ou ce que je croyais être la vie. J’enchaînais les flirts à tel point que je me perdais dans mes rendez-vous. J’allai plus loin avec deux d’entre eux.

Le premier, fut un copain secouriste qui était venu me voir chaque jour à l’hôpital. Très vite, il me fit part de ses sentiments. Il était gentil, trop peut-être, je venais de perdre mon premier amour, et je crus donc en cette deuxième chance.

Je m’engageai donc dans cette relation avec malgré tout l’impression d’être aimée sans aimer en retour. Puis nous décidâmes de nous fiancer à Noël.

En avril suivant,  un copain antillais rencontré au centre de rééducation, avec lequel j’avais flirté, m’adressa une lettre m’indiquant un numéro de vol et m’invitant à prendre le même avion afin de me rendre à la Martinique en sa compagnie, il m’en avait fait la promesse, mais j’avais oublié.

Tout d’abord je crus à une plaisanterie, mais non, il était sérieux. Je pris la décision de partir à la Martinique, après en avoir discuté avec Daniel, mon fiancé. Celui-ci me laissa partir à contre-cœur, mais malgré tout confiant, je lui avais juré mon amour pour lui ! Serge n’était après tout qu’un copain, qui représentait pour moi une période difficile de ma vie que je ne pouvais partager avec personne à ce moment-là, et j’avais encore besoin de parler de toutes ces difficultés rencontrées. J’imaginais que lui seul pouvait comprendre et me libérer de mes tourments. De plus, il était venu à nos fiançailles, donc pas de soucis !

C’était sans compter sur la ténacité des Antillais. Serge avait bien évidemment une idée dans la tête ! Je finis par céder à l’exotisme de la situation. Nous passâmes un mois de vacances fabuleux !

J’adressai une lettre à Daniel, lui annonçant ma décision de rompre nos fiançailles, ce qui bien évidemment le mit dans un état impensable.

Rentrée des Antilles je dus affronter le désespoir d’un garçon éperdument amoureux et la colère d’une mère indignée !

Malgré cela, je continuai ma relation avec Serge. Il habitait Lyon, moi la région parisienne, chez mes parents qui plus est. Rien pour nous faciliter les choses. Chaque vendredi, j’allais le chercher à la gare de Lyon à Paris, je le déposai ensuite chez un de ses cousins en banlieue puis je rentrais chez moi. Le lendemain, nous nous rencontrions et passions la journée ensemble. Le dimanche je faisais le chemin en sens inverse et le reconduisais à la gare de Lyon. Fini le romantisme des Iles !

Bien évidemment cette situation ne dura pas éternellement, je me lassai, lui aussi sans doute, et nous nous perdîmes de vue aussi facilement que nous nous étions rencontrés. En peu de temps je perdis un fiancé et un ami.

C’est à ce moment que je mis un terme à mes frasques amoureuses. Cependant, lorsque je me retrouvais seule, je n’étais pas à l’aise. Je commençais à sombrer dans un état dépressif, m’interrogeant sur ma raison d’exister. Pourquoi avoir été épargnée en effet, puisque rien de ce que j’entreprenais ne réussissait ? Je décidai de mettre un terme à cette vie qui ne m’apportait rien, et avalai un tube complet d’un sédatif trouvé dans la panoplie pharmaceutique de ma mère.

Mais il faut croire que je suis née pour vivre longtemps, car ce cocktail n’aboutit qu’à me faire dormir une journée durant !

Cette tentative avortée eut pour effet de me faire émigrer chez une amie et après quelques jours de repos je décidai de me reprendre en mains.

J’avais 24 ans, toute la vie devant moi et surtout encore plein de choses à faire !

Pour commencer, je pris la décision de quitter mes parents et de louer un appartement. Donc je quittai Noisy-le-Sec, et m’installai à Bondy  dans un F3, au deuxième étage d’un vieil immeuble.

LE CHOIX DE MA DEUXIEME FAMILLE

Nouvellement installée dans mon appartement,  indépendante, je commençai une nouvelle vie, une vie d’adulte.

Je payais mon loyer, les crédits des meubles que j’avais achetés, l’électricité, le gaz, les impôts…Enfin bref, sur mon modeste salaire, il ne restait plus grand chose pour la nourriture. Plus question de penser sorties, voyages etc. !

A cette époque, j’étais membre du Comité de Jumelage de Noisy-Le-Sec, et je m’intéressai à l’accompagnement des enfants en Angleterre. Petit à petit, je devins la responsable de ces échanges, lourde tâche consistant à trouver un programme intéressant pour des jeunes Anglais arrivant en France et leurs correspondants français. Nos amis anglais venaient passer 15 jours de leurs vacances  au mois d’avril, et en retour, les petits Français partaient 15 jours en juillet.

Le voyage s’effectuait en car. Noisy-Le-Sec South-Tynesine, avec 40 jeunes de 13 à 17 ans, le tout accompagné de trois jeunes de 25 ans ! C’était pour moi l’occasion de mettre en pratique un anglais appris en classe et très peu parlé, et de passer une quinzaine de jours de vacances dans une famille d’accueil.

Pas toujours facile de se faire respecter, mais dans l’ensemble je garde un excellent souvenir de cette expérience.

Expérience qui me permit de faire la connaissance de Jean-Louis, mon petit frère d’adoption. Il avait une quinzaine d’années à cette époque, pas particulièrement mal élevé, mais pas facile non plus, surtout dès qu’il était avec ses copains.

Une tendre amitié s’installa entre nous, qui m’amena à rencontrer ses parents, avec lesquels une forte relation s’instaura. Une relation si forte, que plus de 20 ans après, elle dure encore, bien que malheureusement Tonton nous ai quittés.

 

A TOI MON AMI DISPARU

En ce triste matin d’avril

Où la pluie tombe sur la ville

Tout comme le ciel, mon cœur est gris

A toi je pense mon ami

 

Je pense à ce jour froid où tu nous as quittés

Si vite, qu’une dernière fois  je n’ai pu t’embrasser

Te supplier encore avec nous de rester

Seul ce soir-là, ta vie tu l’as laissée aller

 

Depuis que tu n’es plus, je suis désemparée

Tu me manques et personne ne peut te remplacer

Pas un jour ne se passe sans que je pense à toi

Ton départ  a laissé un si grand vide en moi

 

As-tu jamais su combien à toi je tenais

Tu avais remplacé ce père que  je n’avais plus

Mais trop tôt toi aussi te voilà disparu

En laissant en mon cœur une place vide à jamais

 

Le moral n’allant pas je frappai à ta porte

Avec toi pas besoin de médecine d’aucune sorte

Suffisait d’écouter toutes tes plaisanteries

Pour que très vite disparaisse toute nostalgie

 

Tu m’as considérée comme ta propre fille

Et m’a fait découvrir ce qu’est une vraie famille

Aux plus mauvais moments tu m’as toujours aidée

Me donnant sans compter amour et amitié

 

Tu étais à l’écoute de mes joies de mes peines

Toujours auprès de moi quand j’en avais besoin

Devant ce monument aujourd’hui j’ai la haine

Et reste plantée là, une fleur à la main

 

Tout comme la pluie tombe sur la ville

Mes larmes coulent sur ce lieu sans vie

En ce triste matin d’avril

A toi je pense mon Ami.

 

Béatrice Cressiot 12 avril 200

 

Il me vient en mémoire une anecdote. Cela se passait en hiver 76. J’avais décidé de passer Noël en Angleterre et devais donc m’y rendre en voiture. Jean-Louis quant à lui, se rendait chez son correspondant à la même époque. Je proposai donc à ses parents d’emmener Jean-Louis avec moi, ce qui leur faisait économiser le prix du trajet.

Cette proposition leur agréa et nous nous mîmes d’accord sur les date et heure de départ.

C’était la période où j’avais une magnifique Renault 12 orange. Nous partîmes donc un matin de bonne heure et arrivâmes 18 heures plus tard à destination, sans encombre. Southshields est située dans le nord de la Grande-Bretagne, à une dizaine de kilomètres de Newcastle.

Le lendemain de notre arrivée, la différence de température se fit sentir ! Et seulement, après une nuit passée dehors, la batterie de ma belle voiture orange rendit l’âme ! Mes amis la rechargèrent si bien, qu’il fallut tout simplement la remplacer.

La nuit de Noël arriva, apportant avec elle tous les cadeaux, et nje découvris la chaleur des Noëls anglais ; alors que je n’avais de cadeaux que pour mes hôtes, je fus surprise de recevoir des présents de toute la famille et de tous les amis prévenus de mon arrivée. Ainsi, je me retrouvai à la tête de stylos,  petites culottes fantaisie, mouchoirs, boites et bibelots en tout genre. Chaque fois un petit mot aimable accompagnait le cadeau venu très probablement du fond du cœur de son généreux donateur. Ce fut un de mes plus beaux Noëls où l’amitié prit tout son sens !

Mais la nuit de Noël ne se contenta pas de nous apporter des cadeaux, avec eux vint également la neige. De la neige comme jamais je n’en avais vue, car à ce moment là je n’avais pas encore fréquenté la montagne hivernale et ses pentes neigeuses.

Le matin au réveil s’étalait un tapis blanc, les voitures disparues sous un blanc manteau, impossible de distinguer la route des trottoirs. Tout, de la cime des arbres jusqu’au moindre caillou avait disparu.

Ma belle Renault orange n’échappait pas à cette nouvelle couverture. Il nous fallut la dégager de toute la neige qui la recouvrait, car le lendemain matin de bonne heure, nous devions repartir.

Je m’inquiétai devant tant de neige. Pour moi c’était une première, et je ne savais quelle réaction aurait la voiture sur les routes enneigées et verglacées.

Heureusement, l’Angleterre possède un excellent réseau routier. De grandes nationales à quatre voies. Mais là, dans les deux sens, une voie ! Et de chaque côté, des congères de neige ! Impossible de rouler à plus de 50 ou 60 kilomètres-heure. Tant bien que mal, nous arrivâmes à Londres et, si tout allait bien, en fin de journée nous serions à Douvres pour un embarquement à destination de la France où là, forcément, tout irait beaucoup mieux !

Oui, mais voilà, avant d’arriver à Douvres, la tuile ! Alors que je redémarrais au passage au vert du feu tricolore, il me fut impossible de passer  la deuxième vitesse, j’enfonçai mon pied à fond sur la pédale d’embrayage et rien ne se produisit ! Nous étions en haut d’une rue en pente je laissai donc la voiture descendre seule et trouvai une place où je m’arrêtai pour voir ce qui se passait. Il était 18 heures, il faisait froid, Jean-Louis et moi découvrîmes avec horreur que le câble de l’accélérateur avait rendu l’âme ! Pour les rares lecteurs qui ne connaissent pas Londres, à 18 heures en plein cœur de la ville, en 1976 tout est fermé !

Nous nous apprêtâmes donc à passer la nuit, au pire dans la voiture, au mieux dans un modeste hôtel, lorsque le propriétaire du magasin d’alimentation devant lequel la voiture s’était échouée, vint à notre rencontre et nous demanda si nous avions besoin d’aide. Nous lui expliquâmes, dans notre plus bel anglais, notre mésaventure. Alors que j’allais répondre que nous avions suffisamment d’argent pour nous rendre à l’hôtel et prendre un repas chaud, Jean-Louis me coupa la parole, du haut de ses quinze ans, et rétorqua que nous avions déjà une journée de retard sur notre voyage de retour et que nous ne savions pas si nous pourrions embarquer à Douvres, notre billet n’étant plus valable.  Le brave commerçant, sans doute inquiet de voir une jeune fille dans les rues de Londres par un froid de canard, en compagnie d’un gamin de 15 ans, nous proposa fort gentiment de nous offrir le thé et de nous loger très modestement pour la nuit. J’avais les tisanes et le thé en horreur, mais depuis ce jour, j’apprécie de temps en temps un bonne tasse de thé.

Le lendemain matin, notre hôte prit sa voiture et nous emmena dans tous les garages de la ville pour trouver un câble d’accélérateur neuf. Mission impossible à Londres ! J’avais une voiture française, avec par conséquent une conduite à gauche, et tous les concessionnaires contactés possédaient bien évidemment des câbles pour conduite à droite. Il nous fallut une force de persuasion incroyable pour arriver à convaincre notre hôte qu’un câble pour conduite à droite ferait l’affaire, il suffisait de « bricoler » un peu ! Une fois convaincu, notre homme acheta le câble et nous revînmes près de son magasin où il passa encore plusieurs heures à nous dépanner.

Enfin, vers 16 heures, nous pûmes reprendre la route de Douvres munis de fortes recommandations de prudence.

Nous continuâmes donc notre chemin, toujours entre deux congères de neige, et arrivâmes à Douvres inquiets (surtout moi d’ailleurs) de ne pouvoir embarquer. La chance nous sourit, puisque nous fûmes acceptés à l’embarquement sans trop attendre. Nous respirions enfin, persuadés que nous étions au bout de nos peines. Calais ne devait être qu’à deux heures de voiture de Paris !

Nous profitâmes du bateau pour nous restaurer et nous reposer un peu. Grand bien nous fit, car oh surprise, au débarquement, la neige était toujours là ! Et comme en France de tels évènements n’arrivent que très rarement, rien n’est prêt pour le dégagement des routes dans les meilleurs délais. Ainsi, nous nous engageâmes sur une route et fûmes surpris de constater  quelques kilomètres plus loin qu’il était impossible de continuer dans cette voie. Nous fîmes alors demi-tour et tentâmes de prendre un autre chemin, mais sans résultat. Nous mîmes huit heures pour regagner Noisy-le-Sec où je déposai enfin rassurée, Jean-Louis chez ses parents.

Je fus invitée régulièrement pour le dîner, puis je vins pratiquement tous les jours partager la soupe du soir. On se souvient qu’il me restait peu d’argent pour me nourrir correctement et Josiane, qui avait l’œil maternel, avait trouvé la solution pour que je ne dépérisse pas.

De jour en jour, cette famille qui me recevait en toute simplicité et en toute amitié, devint ma seconde famille et c’est ainsi que j’adoptai un petit frère fort sympathique.

Un an après, ma mère décida de quitter mon père. Elle partit donc, nous laissant mon frère et moi, gérer la situation d’un père qui sombra dans l’alcool.

Le proverbe dit  « L’amour a ses raisons que seule la raison ignore ». Il ne s’est jamais si bien appliqué qu’à la situation de mon père. Celui-ci, après plus de 30 années passées aux côtés d’une femme qui ne l’avait jamais aimé, continuait désespérément de vouer à celle-ci un amour sans limite. Mais l’alcool dans lequel il sombra (fort heureusement provisoirement) le mena tout droit à des crises de démence qui lui firent tout détruire à la maison. Il menaçait de tous nous tuer et de mettre fin ensuite à ses jours, ce qui bien évidemment m’inquiétait beaucoup.

Cependant, je ne laissais pas ce père que j’adorais. Bien au contraire, je tentais de le raisonner, de lui expliquer que maintenant il avait la paix, qu’il pouvait être enfin heureux, mais rien n’y faisait. « Amour quand tu nous tiens ! »

Finalement, au bout d’un an, la bourse plate, ma mère prit le parti de rentrer à la maison, et nos rapports déjà tendus à cette époque ne firent qu’empirer. Une rude altercation nous opposa et je décidai qu’elle ne me ferait plus de mal ! J’en avais assez d’une mère qui me reprochait ma naissance et qui plus est mon sexe. 

Cette altercation mit fin à mes relations avec mes parents.

J’étais triste pour mon père, mais devais-je gâcher ma vie ? Mon père venait rôder avec sa mobylette près de mon appartement, ou bien il allait chez mes amis demander s’ils m’avaient vue et si j’allais bien. Puis un jour il me téléphona au bureau et me supplia de revenir à la maison, pour lui. J’acceptai finalement, mais posai mes 

nous fit, car oh surprise, au débarquement, la neige était toujours là ! Et comme en France de tels évènements n’arrivent que très rarement, rien n’est prêt pour le dégagement des routes dans les meilleurs délais. Ainsi, nous nous engageâmes sur une route et fûmes surpris de constater  quelques kilomètres plus loin qu’il était impossible de continuer dans cette voie. Nous fîmes alors demi-tour et tentâmes de prendre un autre chemin, mais sans résultat. Nous mîmes huit heures pour regagner Noisy-le-Sec où je déposai enfin rassurée, Jean-Louis chez ses parents.

Je fus invitée régulièrement pour le dîner, puis je vins pratiquement tous les jours partager la soupe du soir. On se souvient qu’il me restait peu d’argent pour me nourrir correctement et Josiane, qui avait l’œil maternel, avait trouvé la solution pour que je ne dépérisse pas.

De jour en jour, cette famille qui me recevait en toute simplicité et en toute amitié, devint ma seconde famille et c’est ainsi que j’adoptai un petit frère fort sympathique.

Un an après, ma mère décida de quitter mon père. Elle partit donc, nous laissant mon frère et moi, gérer la situation d’un père qui sombra dans l’alcool.

Le proverbe dit  « L’amour a ses raisons que seule la raison ignore ». Il ne s’est jamais si bien appliqué qu’à la situation de mon père. Celui-ci, après plus de 30 années passées aux côtés d’une femme qui ne l’avait jamais aimé, continuait désespérément de vouer à celle-ci un amour sans limite. Mais l’alcool dans lequel il sombra (fort heureusement provisoirement) le mena tout droit à des crises de démence qui lui firent tout détruire à la maison. Il menaçait de tous nous tuer et de mettre fin ensuite à ses jours, ce qui bien évidemment m’inquiétait beaucoup.

Cependant, je ne laissais pas ce père que j’adorais. Bien au contraire, je tentais de le raisonner, de lui expliquer que maintenant il avait la paix, qu’il pouvait être enfin heureux, mais rien n’y faisait. « Amour quand tu nous tiens ! »

Finalement, au bout d’un an, la bourse plate, ma mère prit le parti de rentrer à la maison, et nos rapports déjà tendus à cette époque ne firent qu’empirer. Une rude altercation nous opposa et je décidai qu’elle ne me ferait plus de mal ! J’en avais assez d’une mère qui me reprochait ma naissance et qui plus est mon sexe. 

Cette altercation mit fin à mes relations avec mes parents.

J’étais triste pour mon père, mais devais-je gâcher ma vie ? Mon père venait rôder avec sa mobylette près de mon appartement, ou bien il allait chez mes amis demander s’ils m’avaient vue et si j’allais bien. Puis un jour il me téléphona au bureau et me supplia de revenir à la maison, pour lui. J’acceptai finalement, mais posai mes conditions. (J’ignorais à ce moment là, qu’il souffrait du mal qui allait l’emporter quelques années plus tard).

Je venais de rencontrer Jean-Pierre, et il n’était pas question que cette relation soit mise en danger de quelque manière que ce fut.

Jean-Pierre, c’est l’homme de ma vie, celui que j’attendais depuis toujours. Je fis sa connaissance tout à fait par hasard...

 

L'HOMME DE MA VIE

J’avais comme voisines deux charmantes dames avec lesquelles j’avais sympathisé. Chaque dimanche midi, je devais aller déjeuner avec elles. Souvent elles m’emmenaient au restaurant en forêt de Chantilly. La plus jeune d’entre elles avait encore sa maman chez qui j’avais passé plusieurs heures en compagnie de plusieurs autres de leurs amis.

Un jour que je promenais mon fidèle compagnon à quatre pattes, j’aperçus un homme à la fenêtre de la chambre du pavillon de la mère de ma voisine.

Quelques jours plus tard, croisant cette dernière dans le train, je lui fis remarquer en plaisantant que sa mère ne s’ennuyait pas, qu’elle recevait chez elle de beaux  jeunes gens (je faisais allusion à cet homme qu’en fait je n’avais fait qu’apercevoir et que j’aurais eu bien du mal à décrire !) Suzanne me dit qu’il s’agissait sûrement de Jean-Pierre et s’étonna que je ne le connaisse pas. Comme c’était un excellent bricoleur et que j’avais quelques travaux à faire dans mon appartement, elle décida de me le présenter. Ce qui fut dit fut fait, et un soir alors que je rentrais de mon travail elle m’invita à me rendre avec elle chez sa mère. Elle appela Jean-Pierre qui descendit, les présentations furent faites,  on l’emmena même chez moi afin qu’il juge des travaux à effectuer, puis on se quitta comme on s’était vu.

Par la suite, Suzanne me demanda si j’avais revu Jean-Pierre, non, je ne l’avais pas revu ! Elle me parla de lui, me vantant ses mérites et m’indiquant que c’était un brave homme et qu’il ferait sans aucun doute un excellent mari. Je répondis qu’il ne m’intéressait pas et devant son insistance, je m’exclamai : « et puis de toute façon, il est plus petit que moi ! » Ceci devait pour moi mettre fin à toute autre allusion !

Plusieurs semaines s’écoulèrent avant que je ne revoie Jean-Pierre dans d’étonnantes circonstances ! Ma voisine avait organisé un repas pour ses amis. Celui-ci devait se dérouler chez sa mère, et bien évidemment j’étais cordialement invitée, de préférence avec mon électrophone et mes disques. Le jour venu, je m’exécutai et apportai avec moi tout mon matériel.

Parmi les invités, Jean-Pierre et sa mère ! Nous passâmes à table. Comme par hasard, Jean-Pierre et moi étions assis côte à côte. A la fin du repas, ma voisine me demanda de brancher l’électrophone, il était temps de danser ! Je m’exécutai, je branchai l’appareil, plaçai un disque sur la platine (une valse je crois) et m’assis à ma place. Là, l’enfer commença ! De tout côté on nous disait : « alors les jeunes vous ne dansez pas ? » N’y tenant plus, je pris les choses en main et dis à Jean-Pierre : « Venez, dansons, car tant que nous ne danserons pas ensemble ils ne vont pas nous lâcher ! ». Il se leva et m’invita donc à danser. Subitement, j’entendis dans mon dos ma voisine s’exclamer : « Vous voyez bien qu’il n’est pas plus petit que vous ! » Ce fut la honte de ma vie, pas une fois je crois, je n’ai été si confuse, et j’ai senti le rouge me monter aux joues comme jamais celà ne m’était arrivé !

Le soir, Jean-Pierre m’aida à remonter mon matériel chez moi. Puis il partit, m’indiquant qu’il se rendait au cinéma. Nous nous dîmes au revoir.

A peine installée sur mon canapé, le téléphone sonna. C’était Jean-Pierre qui me proposait de venir avec lui au cinéma. Fatiguée je déclinai l’invitation, une autre fois peut-être. Je ne savais pas , ce jour-là, que je devais le croiser à nouveau sur mon chemin au cours d’un après-midi dansant organisé par les amis de la marine. Toujours invitée par ma voisine, je tombai nez à nez avec Jean-Pierre ! Nous prîmes le parti de discuter, il me raconta sa vie. Il venait de divorcer et m’expliqua que sa femme le trompait avec son meilleur ami, parrain de son fils qui plus est ! Non contente de l’avoir trompé, celle-ci s’opposait au droit de visite qu’il avait pour ses enfants dont la dernière n’avait que quelques mois au moment de leur séparation.

A ce moment là, je ressentis un sentiment bizarre vis-à-vis de cet homme. J’étais presque mal à l’aise. Quelque chose en moi se passait, mais quoi ? Je ne comprenais pas.

Un jour, je l’invitai à m’accompagner à une soirée dansante organisée par le Comité de Jumelage dont j’étais toujours membre. Il accepta volontiers. Cette soirée avait lieu dans un grand restaurant à Vincennes, « L’orée du Bois » me semble–t-il. Nous devions nous y rendre avec le car de la ville de Noisy-le-Sec, au départ de la Mairie. Nous nous rendîmes donc à la Mairie et là je retrouvai quelques amis du Comité et fis les présentations. Je me souviens qu’une amie, Danielle, m’avait adressé un clin d’œil complice lors de ces présentations. Clin d’œil que je ne compris pas. Au cours de la soirée, elle nous taquina tous les deux, constatant que nous ne nous tutoyions pas ; nous employions le « vous », chacun de nous sentant intuitivement, sans vouloir se l’avouer, une force intérieure l'envahir, et ce « vous » était sans doute notre garde-fou.

Finalement, au cours de la soirée, le « tu » vint spontanément dans notre conversation. Nous passâmes un agréable moment, parlant, dansant, alternativement. Au retour, Jean-Pierre me déposa devant ma porte, me remerciant pour cette soirée et me proposa de l’accompagner au cinéma, le lendemain dans l’après-midi. Curieusement, je m’empressai de lui répondre oui ! C’est à ce moment précis, que je compris ce qu’était ce grand bouleversement intérieur que je ressentais. Aucun doute, j’étais amoureuse de cet homme que je connaissais à peine !

 Le lendemain, les heures passèrent bizarrement beaucoup plus lentement qu’à l’accoutumée. J’attendais avec impatience le coup de sonnette à ma porte, annonciateur d’un après-midi en sa compagnie. Je ne sais trop quel film nous avons vu, mon esprit était ailleurs… Jean-Pierre, quant à lui, semblait passionné par ce qui se passait sur l’écran. La séance terminée, nous prîmes un café et rentrèrent tranquillement. Sur le pas de la porte, nous nous embrassâmes sur les deux joues et je l’entendis me dire : « Samedi, si tu veux, nous pourrions aller voir un autre film ? » A nouveau, j’acceptai l’invitation. Dieu que cette semaine fut longue !

Ce samedi tant attendu arriva enfin ; mais, à l’image de la semaine précédente, pas de surprise au menu ! Nous regardâmes le film, à la sortie nous prîmes un café, puis il me ramena chez moi et nous nous quittâmes après un baiser sur les joues. Je rentrai donc chez moi, le cœur prêt à exploser ! Dans la semaine, Jean-Pierre me téléphona ; voulais-je à nouveau l’accompagner au cinéma samedi soir ? Evidemment, je le voulais ! Mais cette fois, je décidai d’en avoir le cœur net, que cherchait-il au juste ? Je pris les choses en main et, comme je l’avais vu faire tant de fois dans les films, arrivés sur le pas de ma porte, plutôt que de le laisser m’embrasser sur les deux joues, je m’enhardis et lui offris de monter prendre un café, ce qu’il s’empressa d’accepter. Une fois à la maison, je fis le café, et lui proposai d’écouter de la musique. Nous nous installâmes sur le canapé tout en écoutant le dernier tube de l’époque. Nous passâmes la nuit ainsi à boire du café, parler musique et découvrir nos goûts communs pour cette incomparable musique des années 60. Vers 6 ou 7 heures du matin il me quitta sans oublier les deux bises sur les joues !

Et ce petit manège dura une année, pendant laquelle je négligeai quelque peu mes amis, sans toutefois les abandonner. Chaque semaine, nous prîmes en effet l’habitude de nous retrouver pour une séance de cinéma ou tout simplement une balade dans Paris, puis nous montions à la maison et reparlions musique, la cafetière toujours à portée de main. C’est au cours de ces nombreuses nuits que j’appris à connaître ce qu’avait été sa vie jusqu’ici.

Sa mère avait quitté son mari pendant la guerre et était partie vivre en Normandie, à Orbec. Là, elle rencontra le père de Jean-Pierre. Tout se passa bien, jusqu’au jour où le père de Jean-Pierre qui était menuisier ébéniste charpentier tomba d’une toiture dont il était en train de refaire la charpente. Il se brisa la colonne vertébrale et resta 3 mois à l’hôpital où il mourut dans d’atroces souffrances. Jean-Pierre avait tout juste 4 ans ! Sa mère et lui restèrent encore 3 ans en Normandie, mais le travail se faisant rare, décision fut prise de retourner sur Paris. Effectivement, il était plus facile de trouver du travail sur Paris, mais fini la grande maison, les courses dans les champs, les parties de cache-cache derrière les pommiers. Au lieu de cela, Jean-Pierre se retrouva dans une pièce mansardée de 4 mètres carrés sous les toits, sans sanitaire ! Cette vie dura 13 ans ! Du travail, il y en avait, mais la couture ne paie pas et très vite Jean-Pierre fut obligé de travailler. A 13 ans il entrait dans un cirque où il mit au point un numéro de cascade. Tout était près pour la première représentation, le numéro était au point, le costume de scène cousu point par point par maman…mais là, surprise, le cirque fermait pour cause de faillite ! La déception passée, Jean-Pierre entra en apprentissage et se forma au métier de tourneur-fraiseur-ajusteur. Puis vint le service militaire où il prit quelques cours de pilotage. Il était doué, aussi on lui proposa de s’engager,  ce qu’il ne fit pas, car dehors une petite fiancée l’attendant. L’armée terminée, il reprit le travail, puis se maria. Alors qu’il était en droit de croire enfin au bonheur, il tomba de haut ! Sa femme le trompait avec son meilleur ami ; il quitta le domicile familial , entama la procédure de divorce et retourna vivre avec sa mère dans un appartement à Bondy.

Enfin, un samedi pas comme les autres, ma patience fut récompensée, et ce ne furent pas   deux bises sur les joues que je reçus, mais un long baiser passionné ! Très vite, nous décidâmes de vivre ensemble, petit à petit il s’installa donc à la maison. Mais mon combat n’était pas terminé. Avoir à mes côtés l’homme que j’aimais et que j’avais patiemment attendu durant toute une année ne me suffisait pas, je voulais qu’il soit officiellement « mien ». J’entrepris donc de le convaincre qu’un mariage raté ne devait pas l’empêcher de recommencer sa vie et d’être heureux et cette force de persuasion je dus la déployer durant un an également ! Jean-Pierre finit par céder et nous convînmes de nous marier pour fêter  mes 30 ans.

J’avais eu, étant plus jeune, une longue conversation avec mon père au cours de laquelle je lui avais expliqué que je ne voulais pas me marier, l’exemple du mariage raté de mes parents était probablement à l’origine de cette décision juvénile. Mon père ria, et me dit « on en reparlera, ma fille ! » Vexée, je lui répondis que si par hasard je devais me marier, ce ne serait pas avant l’âge de 30 ans (faisant référence à Claude François dont j’étais une fan inconditionnelle). Papa ne me prenant toujours pas au sérieux, je me fâchai et lui dis « Eh bien parions ! » Papa se prit au jeu et paria une caisse de champagne que je serais mariée bien avant d’avoir atteint ma trentième année.

Donc, la date de notre mariage fut fixée au 17 avril (le 18, jour de mon anniversaire étant un dimanche). Nous lançâmes nos invitations, essentiellement auprès de nos amis, ayant peu ou pas de famille ni l’un ni l’autre. Au total ce furent 100 personnes qui assistèrent à notre cérémonie de mariage à la Mairie de Noisy-Le-Sec, dont une trentaine d’enfants des échanges organisés par le Comité de Jumelage qui étaient justement présents à cette date.

Là je me dois de mettre à l’honneur ma petite famille d’adoption qui se substitua à l’incompétence de ma mère, et qui nous prépara une fête extraordinaire, nous prouvant ainsi, si cela devait être nécessaire, que nous étions leurs enfants. Nous n’étions pas riches et ne pouvions compter que sur nous mêmes, aussi nous ne pouvions nous offrir le luxe d’un traiteur, encore moins d’un restaurateur. Qu’à cela ne tienne, nous allions tout préparer ! Josiane avait demandé à un traiteur de l’armée où elle travaillait, de préparer des pains surprises, des petits fours pour l’apéritif. Tout le reste, viandes, poisson, salades fut l’objet de longues heures de préparation et de cuisson dans sa cuisine. La veille de notre mariage, nous étions tous dans la cuisine à faire cuire, éplucher, couper, décorer etc. Nous ne nous sommes pas couchés  de la nuit ! Tonton (le père de Jean-Louis) avait fait décorer sa voiture, il serait notre chauffeur. Jean-Louis, mon petit frère serait le témoin de Jean-Pierre et aurait l’insigne honneur de conduire la voiture neuve de sa grande sœur d’adoption , dans laquelle il ferait monter à ses côtés sa cavalière, choisie parmi mes collègues de travail. J’avais loué une salle pour la circonstance et demandé à mon chef de bien vouloir animer notre soirée, ce qu’il fit avec brio comme d’habitude.

Le plus beau souvenir de cette journée, c’est sans conteste le oui que nous nous sommes dit mutuellement Jean-Pierre et moi, mais c’est aussi la fierté de mon père, conduisant sa fille devant Monsieur le Maire ! Il n’était pas peu fier, papa,  même si, tout bien considéré, il avait perdu son pari ! Bien que dans un premier temps il prétendît que le 17 avril, je n’avais pas encore atteint mes trente ans, (ce qui n’était pas faux à un jour près) il fut finalement beau joueur, et nous offrit la caisse de champagne.

Après cette cérémonie de courte durée, Jean-Pierre étant divorcé, il n’y eut pas de cérémonie religieuse, ce furent donc 100 invités qui se rendirent chez Josiane et Tonton pour le vin d’honneur. Dieu merci, ce jour là, le soleil s’était lui aussi invité, et beaucoup purent donc aller dans le jardin. Dominique, une de mes collègues de travail, s’était occupée de dresser une liste de mariage en m’interrogeant insidieusement sur ce que je possédais ou non à la maison, de sorte que nous nous retrouvâmes devant une montagne de cadeaux, ce que nous n’avions pas prévu, notre but, avant tout, étant tout simplement de faire participer le maximum de nos amis à notre bonheur.

Le repas fut empreint de gaieté et de bonne humeur, le buffet que nous avions préparé s’avéra beaucoup trop copieux. Mais visiblement tout le monde était heureux, puisque vers 6 heures du matin tous les convives étaient encore sur la piste de danse.  Sous la pression de notre amie Danielle qui ne concevait pas un mariage sans le réveil des mariés, au petit matin,  avec la soupe à l’oignon, nous prîmes la décision de partir nous coucher ; nous tenions à peine debout !

Dormant depuis moins de deux heures, la sonnette de l’appartement retentit et nous fit sursauter. C’était Danielle et quelques uns de nos amis qui arrivaient avec la fameuse soupe. Difficile, à 8 heures du matin, réveillés en sursaut, de pouvoir ingurgiter un tel breuvage ! Mais  on ne se marie qu’une fois ! Et ce fut avec plaisir que nous nous pliâmes à ce dernier rite.

Après tout, l’avenir s’ouvrait à nous et nous pourrions dormir tout notre soûl !

Par ce mariage, Jean-Pierre avait trouvé en papa un père qu'il avait malheureusement si peu connu. Tous les deux s'entendaient à merveille et j'en étais très heureuse.

Ce bonheur fut de courte durée, papa atteint d’un cancer depuis de nombreuses années, décéda par un beau matin de mai 1987.

Pour le conduire à sa dernière demeure, une foule d’amis étaient présents, il eut même droit à un hommage rendu par les anciens combattants.

Depuis il me manque, et pas une journée ne se passe sans que je pense à lui.

 

PARTIR UN JOUR

On s’est juré fidélité

Promis de ne jamais se quitter

Pourtant je sais qu’un jour viendra

Où l’un de nous deux partira

 

J’espère être la première tu vois

A partir pour ne plus revenir

Même si je sais te faire souffrir

En m’éloignant ainsi de toi

Mais je ne pourrai pas rester

Séparée de toi à jamais

 

Et si par hasard c’était toi

Qui franchisse le premier pas

Je trouverais très vite le chemin

Pour ne pas rester loin de toi

Et je te rejoindrais la-bas

Au pays dont nul ne revient

 

Je t’aime comme au tout premier jour

Et ne pourrai jamais vivre un jour sans toi

Et s’il faut nous séparer un jour

Ce ne sera pas pour longtemps crois-moi

 

Béatrice Cressiot 2 mai 2001

MA VIE PROFESSIONNELLE

En 1970, je passai donc de la vie scolaire à la vie professionnelle. A cette époque, il était encore très facile de trouver un emploi. J’envoyai une dizaine de candidatures dans des entreprises sélectionnées dans les pages jaunes de l’annuaire. Voulant mettre à profit l’anglais que je venais d’apprendre, je cherchai une entreprise dans laquelle cette langue me serait utile. Ainsi, j’écrivis entre autres à Air France, ainsi qu’au Centre National du Commerce Extérieur. J’eus plusieurs réponses négatives, je n’avais pas d’expérience. Et deux réponses positives : une entreprise de transport international située à deux minutes de chez moi, et le CNCE. Mon père, fort judicieusement, me conseilla d’opter pour le CNCE situé à Paris. Il argumenta que le fait de me rendre dans Paris m’ouvrirait d’autres horizons. Lui faisant pleinement confiance, je suivis son conseil et pris rendez-vous au numéro de téléphone qui m’avait été indiqué.

Je ne me rappelle plus exactement la date de ce rendez-vous, c’était au début du mois de juillet, un matin vers dix heures. Pour la première fois, je devais prendre le train et le métro seule. Le CNCE se trouve dans le 16ème arrondissement, il me fallut une heure de transport.

C’est très intimidée que j’entrai dans le bureau du chef du personnel. J’eus d’abord un questionnaire à remplir sur lequel il m’était demandé mon identité, mon adresse, le salaire que je souhaitais toucher. N’ayant aucune notion de l’argent à cette époque, je laissai la question sans réponse.

Ce dernier, un homme charmant, de petite taille, souriant, m’interrogea sur la manière dont j’avais connu l’entreprise et sur les raisons  qui m’avaient orientée dans mon choix.

Ensuite, il me fit faire un test. D’abord une dictée, qu’il avait sans aucun doute choisie pour les nombreux accords qu’elle comportait.

Ce texte pris en écriture rapide devait ensuite être tapé à la machine, tâche dont je m’acquittai sans difficulté. Je remis donc ma feuille au chef du personnel qui relut ce que je venais d’écrire. Il parut étonné. Puis soudain, avec un petit sourire, me dit s’être trompé. Telle phrase n’était pas au singulier, mais au pluriel. Il me fallut reprendre l’ensemble et revoir chaque accord. La tâche achevée, je lui rendis à nouveau ma copie, il la relut avec attention. Sa lecture terminée, je vis ses yeux s’emplir de malice, il me tendit ma feuille en me disant : « oh ! oh ! il reste une petite faute ». Je regardai, et effectivement trouvai le petit « s » oublié !

Le test étant fini, ce chef malicieux me signifia que ma candidature lui convenait et me proposa le choix entre deux postes différents. Un poste de dactylographe dans un pool, ou bien un poste de secrétariat. Fin psychologue, mais ne voulant certainement pas m’influencer outre mesure, il m’expliqua qu’au pool, je serais « noyée dans la masse » et que donc j’aurais du temps pour m’adapter au monde professionnel, alors que le poste de secrétariat nécessitait d’être opérationnelle immédiatement. Comprenant bien le message, j’optai pour le poste de dactylographe, d’autant qu’il me promit un poste à la comptabilité dès qu’une place serait libre.

Il me présenta à la responsable du pool dactylographique et là, je dus à nouveau effectuer un test. Il ne s’agissait plus de la petite lettre à taper à la machine, mais d’un tableau comportant un nombre incroyable de colonnes. Je devais donc jongler avec les tabulations de la machine à écrire ! Le tableau en question étant si compliqué, je ne parvins pas à le réaliser dans le temps imparti. La responsable du pool me reconduisit donc chez le chef du personnel en lui indiquant que je ne ferais pas l’affaire, je n’étais pas suffisamment rapide. Celui-ci insista auprès d’elle, argumenta que j’étais excellente en orthographe, et que la rapidité viendrait avec le temps. Je fus donc engagée, et commençai à travailler le 1er septembre 1970 après avoir profité de mes dernières grandes vacances.

Encore maintenant je me souviens de cette première journée. Je n’étais pas à l’aise, timide comme je l’étais, il me fallut affronter une dizaine de paires d’yeux braqués sur moi, saluant mon entrée ! Très vite je pris conscience qu’il me fallait tirer un trait sur ma scolarité, car soudain j’étais plongée dans ce monde d’adultes pour lequel je n’avais pas été préparée.

Heureusement, mes collègues se montrèrent très gentilles et m’accueillirent en toute simplicité, m’apprenant très vite toutes les subtilités liées à mes nouvelles fonctions. On me dressa le portrait de mon chef, dont la réputation d’obsédée du sexe ne tarda pas à m’être confirmée. La journée terminée, je rentrai chez moi avec la ferme intention de ne jamais remettre les pieds dans cette grande maison ! Ma mère ne vit pas cette idée d’un bon œil et dès le lendemain me pria de me rendre à mon travail, ce que je fis, non sans traîner les pieds. Finalement, ce fut sans m’en rendre compte que les trois jours qui me séparaient du week-end s’écoulèrent.

Durant ces jours de repos, un premier incident me fait dire aujourd’hui que vraiment je ne suis pas née pour travailler. Alors que durant toute ma scolarité j’espérais en secret une grippe, une jambe cassée, bref le petit truc qui me ferait sécher les cours, rien n’arriva. Et là, après seulement trois jours de travail, je me retrouvai, je ne sais comment, bloquée dans mon fauteuil, incapable de me lever. Je dus appeler mon père qui me porta et m’allongea sur mon lit, la jambe droite complètement repliée sur elle-même. Impossible de déplier ce foutu genou ! Ma mère venue en renfort m’aida à me déshabiller et je m’allongeai espérant que le lendemain tout serait rentré dans l’ordre. Espoirs vains, hélas ! Car en effet, si la jambe durant la nuit avait repris une position normale, il m’était impossible de plier le genou. Je marchai tout le week-end avec une jambe raide. Le dimanche soir, je demandai à mon père de m’accompagner à mon travail, pas question en effet de manquer au bout de trois jours ! Il en était d’accord, et ma mère décida qu’elle nous accompagnerait. Et c’est flanquée de mes deux parents que j’arrivai le lundi matin sur mon lieu de travail. Notre chef de service me voyant ainsi, m’envoya tout droit chez le chef du personnel, lequel me dit de rentrer chez moi, de consulter un médecin et de prendre le temps qu’il fallait pour me soigner, mais qu’en aucun cas, il ne voulait me voir au bureau dans un tel état.

Mes parents me ramenèrent à la maison, et rendez-vous fut pris auprès du médecin. Après plusieurs examens, la conclusion s’imposa ; j’avais un ménisque cassé, il fallait opérer ! Après un mois d’arrêt, je repris néanmoins mon emploi, attendant la date de l’opération fixée au trois novembre 1970.

Ce fut trois mois seulement après cette intervention que je pus reprendre ma place au pool. Je n’y restai pas longtemps, suffisamment malgré tout pour refuser de me plonger dans des exercices de « Bled » lorsque le travail faisait défaut, et signifier à mon chef que je n’étais pas là pour cela. Au bout de quelques mois, j’avais déjà de l’assurance et commençais à faire quelques remplacements. Puis vint le jour où, comme il me l’avait promis, le chef du personnel me fit venir dans son bureau et me proposa un poste à la comptabilité. Malgré ma formation, je n’étais pas comptable dans l’âme, mais je n’osai refuser cette proposition qui s’accompagnait d’une substantielle augmentation.

Je fus affectée au secteur comptabilité. J’appréciais ce nouvel emploi qui m ‘éloignait à jamais d’une ambiance que je jugeais malsaine et à laquelle je ne me fis jamais. Je ne sais plus pour quelles raisons, mais je ne restai pas longtemps dans ce secteur. Je me retrouvai affectée à celui des « engagements de dépenses » et passai d’un bureau « intime » à une plate forme sur laquelle était réunie la quasi-totalité des employés de l’Agence Comptable. Je m’adaptai à cette nouvelle situation, regrettant malgré tout l’atmosphère feutrée de mon précédent bureau.

Il régnait dans ce service une excellente ambiance. Plusieurs de mes collègues arrivaient du Midi avec dans leurs bagages,  soleil et bonne humeur.

Je me souviens d’ailleurs du premier jour où j’eus l’occasion d’y pénétrer. Je devais y porter des documents. J’entrai donc dans la pièce après avoir frappé, et me trouvai devant une scène mémorable ; une femme était allongée sur un bureau, maintenue par deux ou trois de ses collègues, pendant qu’un autre  s’appliquait à lui imprimer sur toutes les parties visibles de son corps la panoplie complète des tampons du service !

Durant les années passées au sein de ce service, je ne compte plus les fois où Renée, que j’avais vue tamponnée de toutes couleurs, s’est amusée à vider le contenu des perforateurs dans le parapluie de ses camarades, ou bien encore coudre les poches d’un imperméable, truffer de trombones le bas d’un manteau. Bien sûr, toutes ces farces entraînaient pour elle les représailles des victimes. Et chaque fois, c’étaient des fous rires assurés.

Le responsable de la comptabilité était un Agent Comptable sorti tout droit de la Fonction publique. Homme gentil mais particulièrement exigeant sur certains points.

Il surveillait en particulier les horaires. Un jour, il entre dans mon bureau alors que je suis en train de lire. Il me salue, salue deux ou trois employés présents et s’en va continuer sa visite dans les bureaux voisins. Une dizaine de minutes plus tard, mon téléphone sonne. L’Agent comptable me demande de le rejoindre dans son bureau ce que je fais immédiatement. Déjà une de mes collègues y est présente.

Notre chef m’explique alors gentiment mais fermement que l’heure d’arrivée au bureau est fixée à 9h45, que si donc je souhaite arriver avant l’heure, je me dois de me mettre au travail immédiatement et non pas terminer la lecture de mon roman. Pour cela, je peux rester dans le métro ou m’installer sur un banc public.

Se tournant ensuite vers l’autre personne il s’exclame : « Et vous, Madame P…., c’est encore plus grave. Vous êtes fonctionnaire et à ce titre vous devez montrer l’exemple ! »

Je sortis du bureau toute tremblante et pris soin par la suite de ne pas me faire prendre dans ma lecture, même avant l’heure officielle du travail.

Mon emploi consistait à vérifier les factures, réclamer les pièces manquantes avant passage en « mécanographie » ancêtre de nos modernes ordinateurs. Je n’aimais pas ce que je faisais et songeais sérieusement à partir. J ‘avais en vue une place auprès du comité d’entreprise de l’EDF. Hélas, le destin en décida autrement,  un très grave accident, déjà évoqué, coupa net mes élans en septembre 1972.

Après plusieurs mois d’arrêt de travail, je revins au CNCE devenu durant cette courte période CFCE.

Je ne fus pas affectée au poste que j’avais laissé, mais eus le réel plaisir de retrouver mon petit bureau feutré dans lequel je restai jusqu’en 1977. A cette époque en effet, la modernisation rendait le travail plus rare et moins intéressant. Je pris donc la décision de postuler pour le service de la paie.

Les candidatures étant rares, le chef du secteur ayant la réputation d’être « mauvais coucheur », je fus mutée dans celui-ci sans imaginer que j’y passerais dix longues et belles années.

Je ne sais pas pourquoi, mais ce « mauvais coucheur » et moi, nous entendîmes à merveille. Timides tous les deux, nous avions la manie de prendre les devants pour ne pas être agressés et c’est souvent à grand renfort de cris que nous abordions toutes les discussions. C’est certainement ce point commun qui fit que je compris si bien cet homme aux allures de bon gros chien battu.

Ensemble, pendant dix ans, nous avons calculé la paie d’environ cinq cents employés. Nous avons également fait du syndicalisme, car ce râleur invétéré était avant tout un défenseur des causes perdues. Il m’entraîna dans son sillage et je fis ainsi mes premiers pas de déléguée du personnel. Je m’investis à fond dans ces nouvelles fonctions et réussis enfin à me débarrasser de ma timidité.

Il nous restait encore un peu de temps que nous consacrions à l’association sportive. Nous organisions des week-ends de ski, de voile ou bien d’équitation. Deux ou trois fois aussi, nous avons proposé des rallyes touristiques. A cela s’ajoutait la gestion des autres activités, gymnastique, ping-pong, judo etc.

Nous nous occupions également de l’association culturelle dont le domaine principal était l’achat de disques à tarif préférentiel pour les agents. Ceci me permit d’être toujours au top en matière de nouveautés musicales car chaque fois que nous nous rendions chez le grossiste, nous pouvions écouter les meilleures musiques.

Une autre de ces activités, mais là, je ne sais pas si elle était d’origine culturelle ou sportive, était la vente de produits aussi divers que variés. En effet, Bernard, mon Chef, avait le don de dénicher les meilleures affaires. C’est ainsi que nous vendîmes des produits de beauté, des stylos, mais aussi des pompes à vidanger, des calculettes, des briquets etc.

Les tiroirs de Bernard recèlaient un véritable trésor et notre bureau était l’objet d’un défilé incessant de collègues qui venaient chercher le dernier gadget du jour !

Cette période restera une des meilleures de ma vie professionnelle. Entre mon chef et moi, jamais de conflit, plutôt une connivence, aussi soudés dans les tâches professionnelles que dans les à-côtés.

Mais malheureusement, les bonnes choses ont une fin. Le modernisme nous ayant rattrapés, c’est à l’ordinateur que la tâche incomba de calculer les salaires.

Mon poste fut supprimé de même que bien d’autres, et l’on vit diminuer l’effectif de notre société.

J’eus le choix d’une autre fonction. J’avais trente-cinq ans et décidai qu’il était temps pour moi de prendre une autre voie. Ainsi je demandai mon affectation au centre de documentation, ce qui me fut accordé.

Je devins  documentaliste et c’est à bras-le-corps que j’entrepris cette reconversion, aidée en cela par d’excellents collègues. Après quinze années de vie professionnelle, je me trouvais enfin dans mon élément, loin de moi les chiffres, les bilans, les factures et même les salaires. Enfin, je mettais en pratique cet anglais que j’avais pris soin d’entretenir durant ces longues années.

Au moment où je couche sur le papier ce que je considère comme étant la moitié de ma vie, je suis toujours documentaliste, et toujours la même foi m’habite. Je prends chaque jour plaisir à apprendre, car dans ce métier, nous avons sans cesse l’obligation de chercher et de nous informer afin d’apporter l’aide qui nous est demandée.

MON ENGAGEMENT ASSOCIATIF

J’ai parlé de mon engagement au sein de la Croix-Rouge Française comme secouriste bénévole. Durant une dizaine d’années j’ai consacré à cette association tout mon temps libre. Il se peut que, sans l’accident dont j’ai été victime, je serais toujours secouriste.

Une fois ma rééducation terminée, de même que je repris mon activité professionnelle, je repris du service au sein de l’équipe de secouristes. Je tins quelques postes de secours, jusqu’au jour où, devant soulever un brancard, je perdis l’équilibre, mon genou s’étant déboîté. Heureusement, cela n’eut aucune conséquence aggravante sur l’état du patient transporté. Cet incident me fit malgré tout prendre conscience qu’il me serait difficile à l’avenir de continuer mon travail à la Croix-Rouge.  Durant quelques mois je restai encore, puis je décidai de tirer un trait sur dix ans de ma vie et ne renouvelai pas ma cotisation de membre actif.

Parallèlement à la Croix-Rouge Française, j’avais une petite activité au sein du Comité de Jumelage. J’y étais adhérente depuis que mes parents m’avaient envoyée en Angleterre par l’intermédiaire de cette association.

En effet, ma mère avait estimé que pour parfaire mon anglais il me fallait faire un séjour dans le pays. Un matin du mois de juillet, je rejoignis un groupe d’une quarantaine de jeunes de mon âge, filles et garçons. Un car de la Mairie nous emmena à la Gare du Nord, où nous prîmes le train pour Calais. Embarquement sur le ferry et traversée de la Manche pour arriver à Douvres où nous prîmes un autre train en direction de Londres. Là, notre périple n’était pas terminé,  nous devions changer de gare,  un car britannique devait nous attendre. Mais comme le train avait quelques minutes de retard, le chauffeur du car ne nous avait pas attendus, et c’est en taxis londoniens que nous rejoignîmes Victoria Station. Dès cet instant, le charme britannique commença son emprise sur moi. Notre destination finale était à cette époque une petite ville nommée Hebburn, située dans le nord de l’Angleterre, près de Newcastle. Ce voyage ne nécessitait pas moins d’une vingtaine d’heures de route et c’est très fatigués que nous arrivâmes à destination. Sur place, nous avions rendez-vous avec nos familles d’accueil. Pour ma part, je devais retrouver la famille Stule, ma correspondante se prénommant Jean.

Durant mon séjour, je ne pense pas que ma famille d’accueil entendit sortir de ma bouche le moindre mot susceptible de lui prouver que j’étudiais l’anglais depuis deux années déjà !

Monsieur et Madame Stule étaient des gens fort agréables, je me souviens que la spécialité de Madame Stule était la pâtisserie. Elle faisait des gâteaux si beaux et si bons, qu’on les croyait sortis de chez le pâtissier. Cependant, je ne sympathisais pas beaucoup avec ma correspondante, lui préférant sa voisine Helen Fairs, avec laquelle j’ai d’ailleurs longtemps gardé contact.

Helen était une petite fille charmante elle devait être de deux ou trois années plus jeune que moi. Ses parents tenaient une boutique, ces petites boutiques anglaises dans lesquelles on trouvait pêle-mêle épicerie, pain, lait, mais aussi quelques vêtements. De plus Monsieur et Madame Fairs avaient une licence les autorisant à vendre tabac et alcool, sans oublier les journaux.

Durant les vacances Helen était souvent seule ; c’est pourquoi elle se rapprocha de moi au cours de mon séjour à Hebburn. Gentiment, patiemment, elle me fit parler et utiliser  mes quelques mots d’anglais, m’en apprenant d’autres au fur et à mesure de nos conversations. Au moment de partir, elle me remit un petit souvenir accompagné d’un bout de papier sur lequel elle avait inscrit son adresse « au cas où ».

Nous revînmes de ce séjour avec nos correspondants respectifs et ce fut à notre tour de les héberger. Chez mes parents il n’en fut pas question, la chambre était réservée à mon frère, moi je dormais dans la salle à manger. Jean, ma correspondante fut donc accueillie dans une autre famille dont la fille Catherine n’avait pu s’offrir le voyage aller. Cette solution me donna l’occasion de me faire de nouvelles camarades. Outre les sorties organisées par le Comité de Jumelage, mes parents ou ceux de Catherine nous emmenaient visiter Paris. Jean restait à l’image de ce qu’elle avait été lors de mon séjour dans sa famille, boudeuse et peu communicative. Je passais toutes mes journées à la caserne de la gendarmerie, devenue depuis Centre administratif de la ville, le père de Catherine y exerçant son métier de gendarme.

Ce fut la seule et unique fois où je participai à ces échanges en tant qu’élève. Mais l’adhésion étant obligatoire, ce fut l’occasion pour mon père de consacrer beaucoup de son temps à cette association.

Au fil des années mon père s’occupa des échanges d’enfants, puis de l’organisation des fêtes et enfin devint trésorier. En tant que responsable de ces échanges, il accepta une année de m’emmener comme accompagnatrice. J’appréciai beaucoup ce séjour avec lui. Nous étions tous les deux logés dans la même famille, et nous passions tout notre temps libre ensemble. Ce fut l’occasion de nous rapprocher et d’accentuer notre complicité.

Je ne sais pas comment mon père s’y prenait, il ne connaissait pas un seul mot d’anglais et pourtant il réussissait à tenir des conversations dont les sujets variaient, de la politique aux voyages en passant par sa vie de prisonnier de guerre ou bien ses goûts gastronomiques. Je me souviens d’un jour où, discutant cuisine, il avait obtenu de nos hôtes de préparer lui-même le repas du lendemain midi. Il demanda l’achat d’un poulet qu’il se proposait de faire cuire comme chez nous, c’est à dire bien grillé. Le lendemain matin, le poulet fut acheté par la maîtresse de maison et lorsque papa se rendit dans la cuisine pour préparer le déjeuner, il poussa un cri d’horreur en constatant que la pauvre bête avait subi une pré cuisson dans l’eau bouillante ! Je crois, avec le recul, que malgré sa volubilité, mon père ne se faisait pas toujours comprendre et que ses interlocuteurs lui faisaient tout simplement bonne figure !

Cette première expérience d’accompagnatrice me plut, et l’année suivante je repartis toujours avec mon père. Cette fois, je ne fus pas logée avec lui, mais avec la deuxième accompagnatrice, Brigitte. Nous étions toutes deux chez Madame Leedle, vieille dame de quatre-vingts ans, fort gentille, distinguée, mais bavarde. Brigitte parlait parfaitement bien l’anglais, car sa grand-mère était anglaise. Dès notre arrivée, Madame Leedle se lança dans une conversation dont très vite je perdis le fil ! Mon anglais approximatif ne me permettait pas de suivre de longues discussions et très vite, je « fermais  les écoutilles » !

Ce fut à la suite de ce deuxième séjour que je pris la place de mon père et devins responsable des échanges d’enfants à mon tour ; je n’avais que vingt-cinq ans ! Je n’étais pas dans l’enseignement : aussi, la première année où j’accompagnai les enfants en tant que responsable, la secrétaire me demanda-t-elle si cela n’allait pas me poser de problèmes particuliers, l’accompagnatrice qui partant avec moi était professeur, comme le chauffeur qui exerçait cette profession en « extra ». Je ne compris pas tout de suite le sens de sa question. C’est beaucoup plus tard, je l’avoue, que je fis l’analyse, souvent à mes dépens, de ce qu’est le milieu enseignant. Rien n’est au-dessus de leurs membres, ils sont Enseignants. Oui mais voilà, ils ont l’instruction, c’est vrai, mais pas toujours l’intelligence qui devrait aller de pair.

Je n’eus aucun souci particulier avec les enfants, d’autant que quelques années auparavant, j’avais exercé les fonctions de monitrice au centre aéré de l’EDF, toujours avec mon père.

L’accompagnatrice, par contre, me posa quelques petits problèmes, occupée qu’elle était à prendre soin de Francis, notre chauffeur, délaissant ainsi son travail !

Je ne sais pas pourquoi, les chauffeurs semblent souvent exercer un pouvoir de séduction sur le sexe dit faible, un chauffeur de car est rarement seul, et si vous observez les femmes, vous remarquerez qu’elles trouvent toujours un bon prétexte pour se trouver près de lui ! Sûrement l’attrait des voyages !

L’année suivante, je partis à nouveau avec Brigitte et Francis qui en un an avaient beaucoup évolué dans leurs relations. Nous fûmes logés au même endroit, dans une petite pension familiale.

Tout se passa pour le mieux, jusqu’à notre visite d’Edimbourg. Cette sortie était la plus fatigante de toutes, car elle obligeait d’une part à se lever très tôt le matin, et à passer la journée complète sur place.

En général, nous visitions la ville, le château de Hollywood Palace, nous prenions un repas léger dans un petit restaurant vers 18 heures, et ensuite nous attendions auprès du Château d’Edimbourg l’ouverture des portes pour le fabuleux et traditionnel spectacle du « Tatoo ». Cette parade militaire, car c’est de cela dont il s’agissait, se terminait généralement aux alentours de minuit. Il était toujours très difficile d’arriver à regrouper tous les enfants au moment de la sortie de l’enceinte du Château, mais nous faisions toujours les recommandations d’usage pour que, si l’un d’entre eux se trouvait séparé du groupe, il puisse facilement le retrouver très vite.

Malgré toutes ces précautions, il arrivait qu’un enfant se perde et se fasse attendre. Ce fut le cas cette année-là, deux enfants ne figuraient pas à l’arrivée et nous commençâmes à les attendre, laissant le flot de spectateurs s’évacuer lentement. Une fois la place vide, il fallut nous rendre à l’évidence, les deux enfants n’étaient toujours pas là !  Commença alors pour nous une chasse au trésor !

Police, entrée du Château, parcours en sens inverse du chemin menant du château à l’autocar, inspection des rues alentour etc. Pendant ce temps-là, les minutes s’égrènent. Quand enfin nous récupérons les deux garçons, deux heures se sont écoulées ! Les autres enfants, installés dans le car, bien évidemment commencent à s’énerver. Plusieurs fois nous devons les reprendre pour faire cesser le chahut. C’est à ce moment que Francis, subitement pris d’un accès de colère, freine brusquement et s’adresse aux enfants dans un language que je ne peux admettre. Je lui en fais la réflexion et dès ce moment précis, « la guerre » entre nous est déclarée ! Francis, le chauffeur, mais surtout le professeur, n’accepte pas d’être sermonné par quelqu’un qui n’exerce pas le même métier. Il faut dire que je ne  ménage pas mes propos lui faisant remarquer que ce n’est pas la peine d’être dans l’enseignement pour se comporter de cette façon, et que je comprends mieux, à l’entendre, les raisons de certaines violences dans les lycées et collèges.

A ce moment du séjour, le calvaire pour moi commença ! Brigitte me dit qu’elle me comprenait, que j’avais raison car effectivement Francis s’était laissé emporter dans son langage, ce n’était pas une façon de parler aux enfants, elle en convenait, mais, comme elle vivait avec lui, il lui était difficile de faire autrement que de lui donner raison vis-à-vis de moi. De ce jour , nous ne prîmes plus nos repas ensemble et nous nous évitâmes au maximum, ce qui fit que je terminai seule ce séjour en Angleterre.

De retour à Noisy-le-Sec, je fis mon rapport qui fut jugé excessif par l’ensemble du bureau du Comité de Jumelage, composé essentiellement d’enseignants !

L’année suivante, je partis avec une autre accompagnatrice, Danièle. Le chauffeur était, lui aussi, différent. M’occupant d’organiser des week-ends de ski ou autres pour mon travail, j’avais demandé un devis à la Compagnie de car avec laquelle je traitais. Le  montant demandé étant nettement moins élevé que celui pratiqué par la précédente compagnie, je proposai au Comité de Jumelage de prendre cette société, ce qui fut accepté, à ma grande satisfaction, car j’avais trouvé là le moyen de me débarrasser de mes deux professeurs !

Ce nouveau chauffeur s’avéra être un excellent accompagnateur qui n’hésitait pas à jouer avec les enfants sur les aires de repos, ni non plus à prendre son car certains soirs, pour ramener de « boîtes » nos jeunes adolescents dont il se fit l’ami.

Ce tableau idyllique ne dura pas longtemps. Je ne m’étais pas fait que des amis au sein de cette meute d’enseignants. Mes relations avec le Comité Directeur devinrent de plus en plus houleuses, et l’on me débarqua comme une malpropre lors du renouvellement de bureau. A ce moment-là, j’étais également trésorière de l’Association. On s’arrangea donc pour que je ne sois réélue ni aux  échanges d’enfants, ni à mon poste de trésorière. Je n’avais rien vu venir ! Je ne compris ce qui se passait qu’au moment du vote. Alors que généralement, celui-ci avait lieu à main levée, cette année-là, on procéda à un vote à bulletins secrets ! Là, je compris également la perfidie qui caractérise si bien une partie du corps enseignant ! (je dis une partie, car j’ai heureusement eu l’occasion de rencontrer des enseignants d’un autre niveau intellectuel). Deux candidatures se présentaient, une pour les échanges d’enfants, une autre pour le poste de trésorier. La manœuvre ayant été préparée de longue date, ces deux personnes furent élues. Je remis donc tous mes dossiers à mes successeurs, et me retirai de l’avant-scène pour quelque temps.

Je ne donnai pas ma démission, trop de personnes en auraient été ravies, et je ne souhaitais par leur faire ce plaisir. Je restai au Comité Directeur, en observatrice, attendant mon tour qui ne tarda pas à revenir !

A cette même période, une idée de jumelage-coopération avec un village du Tiers-Monde, vit le jour. En effet, jumelés depuis vingt-cinq ans avec South Tyneside en Angleterre et depuis un an avec Arganda del Rey en Espagne, nous souhaitions faire un jumelage différent.

Il nous fallait trouver ce village. Grâce à la FMVJ (Fédération Mondiale des Ville Jumelées) nous avions la liste des candidats possibles. D’un autre côté, nous savions, par les services municipaux, que plusieurs familles mauritaniennes, issues d’un même village, vivaient à Noisy. Si l’on ajoute que la Mauritanie était désireuse de développer ce type d’échanges, notre choix fut vite fait. Ce serait Djéol, petit village d’environ dix mille habitants, situé en bordure du Sénégal, près de Kaédi.

De nombreuses rencontres avec nos amis mauritaniens installés à Noisy-le-Sec et dans la région parisienne, furent organisées et nous apportèrent une masse d’informations.

Nous savions par exemple que la situation de Djéol au bord du fleuve permettait à ses habitants de pratiquer différentes cultures. Nous savions également que ce village était doté de cinq puits. Djéol possédait un dispensaire, une école, cinq coopératives et une mosquée.

Toutes ces réalisations avaient été en partie rendues possibles grâce à l’aide apportée au village par les Djéolois résidant en France qui se sont regroupés en Association dans le but de favoriser le développement de leur village.

Nos amis nous avaient également informés sur les besoins en équipements scolaires, médicaux et agricoles.

Nous eûmes les premiers contacts avec le village au travers de nombreux dessins et lettres échangés par les enfants des écoles de Noisy-le-Sec que nous avions associés à notre projet de coopération, et leurs petits camarades mauritaniens.

Notre première action fut l’organisation d’une campagne de sensibilisation de la population noiséenne sur le thème « Un cahier, un crayon pour mon copain de Djéol ». Cette première campagne nous permit d’envoyer au Chef du village mille crayons et cahiers pour la rentrée 1986.

Il nous semblait de plus en plus évident qu’une rencontre avec le village devenait nécessaire. Comment apporter notre aide à Djéol en effet, sans savoir réellement comment vivaient ses habitants et quels étaient leurs réels besoins ?

C’est alors que fut décidé un séjour d’une dizaine de jours à Djéol pour huit ou dix d’entre nous.

En ce qui me concerne, j’avais envie depuis fort longtemps de participer à une telle action. Mais, ce n’était pas un voyage d’agrément que nous envisagions, plutôt un séjour de travail. Il fallait donc choisir une équipe de « spécialistes ». Je ne pensais donc pas faire partie de ce premier groupe de travail.

Quelle ne fut donc pas ma surprise, mais aussi ma joie d’apprendre, au cours d’une de nos réunions que ma présence au sein de ce groupe était souhaitée pour en assurer le reportage vidéo et photographique d’une part, mais également en raison de ma participation active à l’élaboration de ce projet d’autre part !

Je me préparai donc : vaccinations, formalités administratives, recherche de documentation sur la Mauritanie, sans oublier l’écoute des plus anciens qui m’abreuvaient de conseils : « N’oublie pas de prendre un chapeau, ne reste pas au soleil, secoue tes chaussures avant de les enfiler le matin, car il peut s’y être glissé un scorpion durant la nuit, ne bois pas l’eau sans l’avoir fait bouillir, n’oublie pas les médicaments (indispensables à ce genre d’expédition) etc. »

Pendant plusieurs semaines, je ne vécus que pour l’Afrique, m’imaginant tout un monde, j’étais sur un petit nuage !

Je ne pris pleinement conscience de la réalité de la situation que le jour du départ, bagages en mains, sur le parvis de la Mairie, ce mardi 17 février 1987…..

8 h 00,: rendez-vous à la Mairie de Noisy-le-Sec. Déjà, cinq ou six Djéolois sont là. Ils tiennent à nous accompagner jusqu’à Roissy. Paradoxalement, ils sont un peu tristes de nous voir partir. Certains d’entre eux en effet, n’ont pas revu leurs pays depuis plusieurs années. Ils nous donnent les dernières lettres à remettre aux familles, aux amis, nous font les dernières recommandations et nous nous quittons au tapis roulant qui nous mène vers notre avion.

10 h 45, nous sommes à bord. Nous ? Peut-être serait-il bon que je présente notre groupe. Huit personnes, tout d’abord Roger, Maire de Noisy-le-Sec et Evelyne son épouse ; Jean-Claude, professeur d’anglais ; Marie-Thérèse, professeur de français ; Francis, Médecin-Chef du Centre Médical de Noisy-le-Sec ; Pierre, Chercheur au CNRS, spécialiste de l’Afrique Noire ; Michel, commerçant et moi-même, documentaliste à Paris.

11 h 54, nous décollons. L’Afrique nous appelle, nous volons vers elle !

Le vol se déroule sans incident et nous arrivons à l’heure prévue : 16 h 40, heure locale.

A peine descendus d’avion, nous sommes accueillis par les Djéolois résidant à Nouakchott. Le tam-tam a bien fonctionné !

Un accueil fort chaleureux, tant sur le plan humain que climatique. Nous n’en finissons pas de serrer des mains. Alignés sur le tarmac, des dizaines de Djéolois sont là et il nous faut, telle une suite présidentielle, saluer chacun d’entre eux, serrer chaque main tendue. Nous avons très chaud, mais peu importe, nous nous liquéfions dans nos vêtements d’hiver alors qu’il fait 40° !

Pendant ce temps, d’autres amis djéolois s’occupent de toutes les formalités, douane, bagages etc. Tout est d’autant plus aisé que certains postes-clés sont tenus par des Djéolois par exemple : le Colonel des Douanes : Djéolois, le Directeur des transports : Djéolois, notre ami Dialo, Directeur de Banque : Djéolois.

Roger, notre Maire fait un petit discours et présente notre délégation à tous nos amis réunis sur la piste.

Puis nous sommes dirigés vers les voitures qui nous conduisent au centre sportif de Nouakchott où nous sommes hébergés pour la nuit. Là, enfin, on nous sert quelques rafraîchissements.

Nous avons ensuite quartier libre jusqu’à 20 heures, heure à laquelle nous avons rendez-vous chez notre ami Halassane, Directeur-adjoint de la télévision mauritanienne, lui aussi Djéolois, qui nous invite à dîner. Le repas terminé, nous regagnons nos chambres où nous nous préparons à passer notre dernière nuit à l’européenne.

Le lendemain matin, après le petit déjeuner, grands préparatifs de départ.

Nous avions choisi de rallier Djéol par la route plutôt que par les airs, pour mieux apprécier le paysage.

Nos amis se sont occupés de trouver les taxis nécessaires à notre expédition. Trois voitures, sept ou huit personnes par voiture plus les bagages ! Malgré nos frayeurs respectives, nous ne regrettons pas notre choix. Il faut vivre dangereusement !

Un paysage exceptionnel s’offre à nous. Beaucoup de sable, quelques arbres. Une vision extraordinaire, des montagnes couleur jaune orangé, parsemées de petites taches vertes, un ciel étonnamment bleu ! Derrière une dune on découvre un campement de nomades, au détour d’une autre colline, des chameaux chargés du barda de leurs maîtres ; ou bien encore des bergers conduisant leurs bêtes vers un coin de « verdure ». Tout cela nous fait oublier les désagréments d’une route goudronnée fort endommagée par le temps.

Nos chauffeurs connaissent bien la route, heureusement ! Tantôt ils choisissent de rouler sur le bas-côté droit, tantôt complètement à gauche. De temps en temps le milieu de la route leur semble être préférable. Et tout cela à 110 km/heure de moyenne. Aucun d’entre nous n’aurait osé rouler aussi vite ! Par chance, la circulation est loin d’être aussi dense que chez nous.

Nous nous arrêtons une première fois à Boutilimit pour acheter le pain. Une deuxième halte est prévue à Bogué, où nous sommes attendus par quelques Djéolois pour le déjeuner.

Nous repartons et continuons notre route jusqu’à Kaédi sans escale ou presque. Nous ne sommes plus sur une route goudronnée, mais en pleine piste.  Différence entre la route et la piste ?… La poussière. Pour ce qui est des bosses, c’est strictement la même chose !  Au fil des kilomètres, nous prenons la couleur locale. Le soleil nous dore quelque peu la peau, la poussière et le sable font le reste.

A Kaédi, nous sommes reçus par le Chef qui nous offre boissons fraîches et le thé de l’amitié. Ces différents arrêts sont nécessaires pour le réconfort des passagers, mais surtout pour le repos des moteurs : 110 km/heure par 35°…. Tous ceux qui possèdent une voiture peuvent aisément imaginer dans quel état se trouve un moteur mené à un tel régime !

Vers 18 heures, nous arrivons enfin à Djéol. Nos émotions ne sont pas finies pour autant, elles vont simplement changer de forme.

Un trentaine de cavaliers nous escortent jusqu’à l’entrée du village soulevant au passage un nuage de poussière !  Nous descendons de voiture pour nous rendre sur la place où nous sommes attendus par les autorités du village. Tous les villageois sont là, sous le soleil, nous attendant depuis deux heures au moins !  Du plus jeune au plus ancien, ils sont tous venus nous accueillir.

Nous recevons une ovation extraordinaire. Les enfants scandent nos prénoms, les femmes sortent des rangs et au son de tam-tams improvisés (bassines en plastique retournées) esquissent quelques pas de danse. Nous remontons toute cette foule qui nous acclame. Nous serrons des mains qui se tendent. On veut nous voir, nous saluer, nous toucher, on se bouscule pour cela. La joie éclate sur tous ces visages. Sur des pancartes on peut lire : « A Djéol, comme à Noisy-le-Sec, vous êtes chez vous ».

Des larmes d’émotion et de joie montent à nos yeux. Nous nous attendions à un accueil chaleureux, nous étions prévenus, mais un tel délire, un tel débordement de joie, jamais nous ne l’aurions imaginé !

Enfin parvenus aux bancs qui nous sont destinés, le Chef du village nous dit quelques mots qui nous émeuvent un peu plus. C’est un discours assez court, mais qui en dit long !… »Nous ne vous remercierons jamais assez du sacrifice que vous avez fait de venir jusqu’à nous… » Cette phrase, nous l’entendrons tout au long de notre séjour.

Pour les Djéolois, en effet, quitter nos familles, notre confort, parcourir cinq mille kilomètres pour venir les voir, c’est le summum de l’amitié et du dévouement.

Notre Maire a beaucoup de mal à répondre à un tel discours. Lui qui d’ordinaire manie si bien la langue française, ne trouve plus ses mots. Sans conteste, nous sommes tous très émus par ce que nous voyons et entendons.

Après ce court échange protocolaire, nous sommes conduits en voiture jusqu’à la maison du Chef. Nous nous reposons avant de dîner à la lueur des lampes à pétrole. Pour nos amis, le repas traditionnel consiste à manger dans un grand plat commun dans lequel on plonge la main (droite uniquement). Pour nous, il est prévu assiettes et fourchettes.

Après le dîner,  nous sommes dirigés vers nos appartements. Pour des raisons diplomatiques, (il y a deux ethnies dans le village) notre groupe se voit divisé. Roger et sa femme sont logés chez le Chef, (noblesse oblige) Pierre et Francis, les deux plus téméraires, partent chez les Soninkés, les quatre autres, Jean-Claude, Marie-Thérèse, Michel et moi logeons chez les Peuhls, dans la grande maison de notre ami Yaya Diack. Deux salles de bains, cinq chambres et un salon. Rien à voir cependant avec le F6 de chez nous. Dans la cour, une sorte de tonnelle d’environ huit mètres sur quatre sous laquelle sont disposés des matelas. En tout, une trentaine de matelas sont à notre disposition. Nous n’avons que l’embarras du choix. Nous décidons de n’utiliser la maison que pour y déposer nos affaires et nous dormons dehors…

Vers six heures du matin, le village se réveille lentement. Les coqs ont donné le signal.

Très lentement les hommes sortent des maisons, rangent la literie, puis rassemblent les troupeaux et s’en vont travailler. Les femmes, quant à elles, partent chercher l’eau. Ici pas d’eau courante. Il faut aller au puits tirer des dizaines de seaux, remplir une bassine qui, une fois pleine, sera hissée sur la tête. Pas une goutte ne tombe. Si je n’ai pas essayé d’imiter ces femmes, j’ai malgré tout essayé de tirer l’eau du puits et j’avoue que cela m’a demandé un effort inattendu.

Nous avons très vite adopté le rythme du village, ce qui nous a causé quelques problèmes à notre retour en France !

Je ne m’étendrai pas sur toutes les festivités préparées par nos amis pour rendre notre séjour agréable. Leur amour seul aurait suffi à nous laisser un souvenir inoubliable de Djéol.

Je dirai simplement qu’ils avaient fait tout leur possible pour que nous ne nous ennuyions pas, et ce fut réussi. Nos amis avaient si peu pensé à notre éventuelle fatigue qu’au troisième jour de notre séjour, nous accusions quelques défections au sein de notre groupe.

Leur programme était fort bien organisé, alternant séances de travail et distractions.

Ainsi, visites du dispensaire, des écoles, des coopératives, des artisans etc., alternaient avec des démonstrations de lutte, de danse, courses de chevaux etc.

La misère matérielle se mêlait à la joie de vivre. C’est sans aucun doute grâce à cela que nous n’avons pas eu l’impression de grande misère à laquelle nous nous attendions quelque peu.

Nous avons rencontré un peuple courageux, solidaire et digne. Le courage était partout présent :

-          aux champs, culture et irrigation rendues très difficiles par l’extrême aridité du sol au dispensaire, où, suite au passage de l’UNICEF plusieurs années auparavant à Djéol, une femme avait décidé de créer un centre PMI avec les moyens du bord. Tous les jours, à raison de deux fois par jour, cette femme 

-          préparait une bouillie pour environ cinquante enfants souffrant de malnutrition.

-          à l’école, où dans onze classes s’entassaient des enfants de tous âges. Environ 80 par classe, le record étant détenu par la classe de CM2 avec 188 enfants ; malgré cela, un taux de réussite à l’examen d’entrée en sixième de 50% environ.

-          Enfin dans les tâches de tous les jours (eau, courses, entretien des enfants etc.)

La solidarité réside principalement dans la vie familiale. Là-bas, on ne laisse pas un membre de sa famille sans manger, ni même un ami, quel que soit le peu que l’on possède, on partage !

Un exemple de solidarité me revient en mémoire :

Les jeunes du village avaient pris l’habitude, durant les congés scolaires, de se réunir le soir pour discuter ou jouer au ballon. Un jour ils se sont dit qu’il y avait sûrement mieux à faire que de taper dans un ballon. Ils ont alors décidé de recenser les dégâts causés par les pluies récentes. En quelques jours, ils avaient retapé les maisons, déblayé et nivelé les routes. Ils proposèrent leurs bras aux cultivateurs et ainsi apportèrent leur aide au renouveau du village. C’est de là qu’est née, quelques années plus tard, l’Association Culturelle et Sportive des Jeunes de Djéol.

De retour de ce séjour, il me fallut redescendre sur terre. Pendant une dizaine de jours, j’avais vécu l’envoûtement de l’Afrique, cette force intérieure qui vous pousse à y retourner le plus rapidement possible. Loin des valeurs matérielles, je venais de découvrir ce qu’était la valeur humaine, certainement beaucoup plus importante.

Je ne mis pas longtemps à communiquer mon enthousiasme à Jean-Pierre et nous décidâmes de partir ensemble et d’apporter au village notre aide même modeste.

Durant toute une année, nous préparâmes notre séjour. Jean-Pierre à qui j’avais parlé de la difficulté que représentait l’extraction de l’eau des puits, confectionna des supports de poulies qu’il prévoyait d’installer sur les margelles des puits. Il tria et mit de côté de nombreux outils qui rendraient d’excellents services au village. Pour ma part, je fis le tri dans toutes les bobines de fils, les aiguilles, les pelotes de laine qui venaient de ma belle-mère. Inutile de garder du matériel dont je ne savais me servir, par contre, je savais que les teinturières Soninkés en feraient très bon usage.

Fin juillet 1988, je commence à préparer les bagages. Les sacs à dos achetés pour l’occasion s’avèrent bien vite inutiles ! Trop de choses à emporter. Je vais donc chez ma mère et emprunte la grosse cantine qui servait aux vacances familiales. Outre nos affaires personnelles nécessaires à notre séjour prévu pour un mois, s’ajoutent dans la malle, les outils de Jean-Pierre, le matériel de couture, des cahiers et des crayons pour les écoles du village, du matériel médical et des médicaments pour le dispensaire, nous avons tout le courrier des Djéolois de Noisy-le-Sec destiné aux membres de leur famille et aux amis.

Arrivés à Roissy, nous sommes en excédent de bagages ! Nous avons la chance de  tomber sur une employée fort aimable qui accepte les bagages sans supplément de frais.

Nous aurions pu effectuer l’ensemble du trajet en avion. Mais Jean-Pierre n’ayant pas eu la possibilité de voir le désert, nous avions décidé de prendre le taxi-brousse pour le trajet Nouakchott - Kaédi.

Je suis surprise de constater les changements opérés sur les dunes de sable. En avril 1987 elles offraient à l’œil du nomade une vaste palette de teinte jaune, ocre. Elles se parent en août de subtiles touches vertes ce qui donne au paysage défilant sous nos yeux une douceur particulière.

Comme l’année précédente, notre chauffeur prend l’allure d’un rallye-man, et file sur la route évitant tous les obstacles ou presque. Effectivement, vient le moment où son œil averti, mais quelque peu fatigué n’apprécie pas à sa juste valeur un nid-de- poule. Le véhicule, lancé à pleine vitesse, passe sur l’obstacle, s’envole au-dessus de la piste et retombe quelques mètres plus loin, heureusement pour nous sur ses quatre roues. Le chauffeur surpris, écrase alors la pédale de frein ce qui a comme effet supplémentaire de tous nous propulser sur l’avant, les bagages, et notre grosse malle ne faisant pas exception à la règle. C’est ainsi que nous terminons le trajet, assis à l’arrière du véhicule, le dos  à 30°, la malle n’ayant pas souhaité reprendre sa place initiale dans le coffre !

Une autre différence importante me surprend sur le chemin nous menant à Djéol. Alors que l’année précédente nous n’avions éprouvé aucune difficulté, là, nous sommes arrêtés une dizaine de fois par l’armée qui vérifie à chaque poste nos papiers. Nous apprendrons par la suite que la paix est loin d’être présente dans le pays.

C’est donc en poussant un gros ouf de soulagement que nous arrivons au village en fin de journée. Nous ne recevons pas tout à fait le même accueil que celui reçu lors de ma première visite, mais il est néanmoins fort chaleureux. Nos amis djéolois ont préparé à notre intention une maison et mis  à notre disposition Hawa, jeune femme qui est chargée durant notre séjour au village de nous préparer tous nos repas, laver notre linge et le repasser, mais aussi nous approvisionner en eau.

Le premier travail de Jean-Pierre, dès le lendemain matin, est de nous fabriquer une douche. Il n’est en effet pas question pour moi de passer un mois par 35 ou 40° sans pouvoir me laver autrement que dans une cuvette d’eau.

Jean-Pierre et moi partons faire le tour du village, à la recherche de ce qui pourrait nous être utile à la fabrication de la douche souhaitée. Nous  récupérons un fût de deux cents litres et le ramenons dans notre maison.  Jean-Pierre entreprend de le couper en deux à l’aide d’un marteau et d’un burin. Cette opération lui demande plus de deux heures, en plein soleil ! Il utilise la partie supérieure du fût, c’est à dire celle équipée d’un bouchon à vis. Il enlève ce dernier et à la place fixe un piston de flotteur ainsi qu’une pomme de douche équipée d’une chaînette. Notre réserve d’eau est prête, il ne reste plus qu’à trouver la solution pour la positionner en équilibre et à hauteur suffisante pour que nous puissions nous doucher. L’angle formé par les deux murs de la cour fera l’affaire, reste à trouver le support.

Nous décidons d’arpenter à nouveau les rues du village à la recherche de cornières ou de bois. Nos amis nous aident dans notre recherche et nous optons pour le bois, seul matériau disponible au village ce jour-là. Le récipient ainsi équipé et installé en bonne place, nous allons chercher de l’eau au puits le plus proche et commençons à le remplir. D’abord quelques seaux, afin de procéder aux premiers essais, et quand nous sommes assurés que tout fonctionne à la perfection, nous commençons à vouloir compléter ce remplissage, mais c’est sans compter sur nos amis djéolois qui, alertés par nos préparatifs et curieux de savoir à quoi tout ceci pouvait bien servir, viennent en nombre nous rendre visite. Tous s’étonnent, rient aussi, mais finalement trouvent ce système très ingénieux. Il est donc décidé de présenter « l’objet » à l’ensemble du village, au cours d’une réunion organisée le soir-même à notre intention.

C’est ainsi que le soir venu, on voit un étrange défilé dans les rues du village ; une cohorte de jeunes dont l’un d’entre eux porte fièrement sur sa tête notre douche. Cette « œuvre d’art » est l’objet de nombreuses discussions et questions. Plusieurs notables du village nous commandent pour leur maison une douche identique.

C’est au cours de cette réunion que nous remettons aux dignitaires du village tous les trésors que contiennent nos bagages (outils, médicaments, livres, etc). C’est là également que nous mettons au point un programme d’action sur les travaux à effectuer et les priorités à leur donner. Jean-Pierre montre les poulies qu’il a apportées et précise leur destination. Ce sera donc par l’équipement des puits que nous commencerons. Jean-Pierre explique qu’en fonction de ce qui lui a été dit il a fabriqué des pattes de fixation pour ces poulies. Mais malheureusement, arrivé au village, il s’est rendu compte que les margelles des puits, beaucoup trop fragiles, ne supporteront pas le scellement de ces pattes. Il faut donc envisager la fabrication sur place de pattes pouvant être fixées sur la potence des puits. Le forgeron propose de procéder lui-même à cette fabrication.

Tôt le lendemain matin, nous nous rendons à la forge du village. Sous un hangar fait de piquets de bois et de toiles, un feu de bois. Un enfant assis au sol, maintient le feu à bonne température en l’activant à l’aide d’un soufflet fabriqué de peaux de chèvre cousues entre elles.

Jean-Pierre explique au forgeron ce qu’il souhaite précisément. L’artisan, vêtu d’un simple boubou, se saisit alors d’une jante de voiture stockée dans un coin et entreprend sa transformation.

Patiemment, il chauffe le métal, l’aplatit,  le découpe, le façonne et sous mes yeux ébahis, entre le marteau et l’enclume, la jante se transforme et bientôt le forgeron tend à Jean-Pierre 8 pattes de fixation identiques.

Jean-Pierre peut alors insérer les poulies dans les U ainsi formés, et sous les yeux curieux de la population locale, chaque puits est équipé de sa poulie. Les femmes à qui incombe la tâche de l’eau, viennent nombreuses faire l’essai de ce nouveau confort qui s’offre à elle. Mais on me fait l’honneur de l’inauguration de la première poulie, et je sors donc la première outre d’eau sans grande fatigue.

Un des projets du comité de jumelage pour venir en aide au village était la création d’une pharmacie villageoise. Afin d’évaluer les besoins du village, il nous fallait connaître sa démographie. J’entreprends donc, au cours de notre séjour, un recensement. On me remet des registres à partir desquels j’établis la pyramide des âges des habitants. Ces statistiques ne peuvent être qu’approximatives, beaucoup de Djéolois ne connaissant pas exactement leur date de naissance. Ce travail me prendra environ 3 semaines à raison de quelques heures par jour.

Les jeunes villageois profitent de notre présence dans leur commune pour nous demander une aide à la mise en place d’une bibliothèque dans un bâtiment désaffecté du village. Jusque-là, les livres étaient entreposés dans une classe d’école, mais celle-ci appartenant à l’Etat, les jeunes jugent préférable, compte tenu du contexte politique, de placer ces objets de culture dans un endroit indépendant. Ils ont déjà mis en place les rayonnages, il ne reste plus qu’à transporter les livres de l’école à la future bibliothèque ce que nous faisons en deux ou trois voyages. Ensuite, il nous faut trier et placer les livres sur les étagères.

C’était un bel espace qui devait s’ouvrir à toute la population djéoloise. Malheureusement, nous apprendrons quelques mois après notre retour, que cette bibliothèque fut détruite par les Maures qui bien que minoritaires dans le pays, tentent régulièrement de prendre possession de l’ensemble des terres, chassant les occupants négro-africains et détériorant tout ce qui peut à leurs yeux nuire à l’Islam !

La tâche la plus importante que nous entreprîmes durant notre séjour fut sans conteste la rénovation du dispensaire.

Tout d’abord, nous nous rendons sur place afin de prendre des mesures exactes et établir la liste des matériaux utiles à cette rénovation. Cette première étape franchie, il reste à trouver les matériaux. Pour cela, notre ami Mamadou, dit Gros Sow, nous emmène à Kaédi dans sa vieille 404 Peugeot. Nous nous rendons dans un établissement de vente de matériaux de construction. Là, nous achetons bois, peinture, ciment, parpaings et tout ce qu’il nous faut pour redonner un petit air de neuf au dispensaire du village.

Le lendemain, nous attaquons les travaux en commençant par la mise en place d’un bac en ciment. Il devra servir de réserve d’eau propre destinée à la toilette des bébés qui s’ouvrent à la vie. J’avais en effet remarqué que cette toilette était effectuée avec de l’eau que des femmes, amies de la future maman, allaient chercher dans le fleuve se trouvant à deux pas. Mais cette eau était loin d’être d’une grande propreté, notamment après les pluies où le fleuve charriait alors des eaux boueuses.

Me voyant prendre la brouette et la pelle, nos amis djéolois se mettent en devoir de vouloir m’aider. Mais il faut que je me fâche. Nous n’avons pas eux et moi, la même méthode pour élaborer un ciment qui tienne. Par souci d’économie, ils emploient en effet davantage de sable que de ciment. On en voit les résultats, sur les murs des écoles qui s’effondrent chaque année un peu plus après la saison des pluies. Il n’était pas question pour nous que ce que nous entreprendrions ne dure que quelques mois. Une longue discussion intervient entre nous, mais une fois les choses mises au point, j’accepte volontiers leur aide, d’autant que si je suis habituée aux travaux de force, je ne les pratique habituellement pas par une température de 41° !

Notre « baignoire » terminée, il faut installer des portes et des fenêtres afin d’éviter que trop de sable ne pénètre à l’intérieur du dispensaire. Nous commençons par fabriquer des cadres de bois. Ensuite nous prenons les fûts, identiques à celui que Jean-Pierre avait utilisé pour notre douche. L’idée étant d’en ôter les fonds, de pratiquer une découpe de haut en bas de la paroi et de mettre à plat le métal ainsi récupéré afin de le fixer sur les cadres préalablement élaborés. Il nous faut plusieurs jours pour fabriquer les quatre volets et la porte, car nous n’avons que le marteau et le burin à notre disposition ! Quelques amis djéolois dont Gros Sow, nous aident dans cette tâche. Au fur et à mesure qu’un volet est terminé, il passe à la peinture. J’avais formé à l’utilisation du pinceau une petite équipe de peintres. Il y avait chaque jour beaucoup de monde sur notre chantier. Mais il faut bien l’avouer, beaucoup plus d’admirateurs que de travailleurs !

Enfin vient le moment de sceller portes et fenêtres ce que nous entreprenons un matin.

Ce jour-là, alors que nous sommes encore dans le ciment, une femme arrive au dispensaire. Elle vient pour accoucher, elle est arrivée en pirogue du Sénégal. Dans son village, de l’autre côté du fleuve, il n’y a pas de dispensaire et les femmes ont pris l’habitude de venir accoucher à Djéol, en Mauritanie.

La matrone examine la jeune femme et, l’enfant n’étant pas encore sur le point de naître, la renvoie dehors en lui demandant de faire quelques pas. Celle-ci s’exécute et revient peu de temps après. Ce petit manège se répète plusieurs fois encore devant mes yeux étonnés. Enfin, le bon moment arrive et la jeune patiente est allongée sur une table d’accouchement en métal. A l’origine, cette table avait dû être blanche, mais au fil du temps, la couleur de la rouille a pris le pas sur sa blancheur initiale.

Il ne faut pas longtemps pour entendre le cri poussé par ce petit ange entrant dans la vie. Notre bassin à peine terminé est donc inauguré par cette petite fille décidée à naître durant notre séjour.

La maman que je félicite et à qui on  explique ce que Jean-Pierre et moi faisons au village, me fait dire que ce bébé se prénommera Béatrice, ce dont je suis bien évidemment ravie. Elle me propose également de me donner son enfant estimant qu’elle serait plus heureuse dans mon pays que dans le sien. 

Je n’accepte pas, bien évidemment, mais je suis profondément touchée par cette réaction d’amour d’une mère vis-à-vis de son enfant. Pour cette maman en effet, donner son bébé signifie lui donner une meilleure chance de survie. Très souvent je me demande ce que cette petite Béatrice est devenue. Je regrette de n’avoir pas la possibilité de contacter ses parents qui vivent quelque part sur le bord du Fleuve au Sénégal.

Au milieu de ces gros travaux il nous est arrivé d’aider individuellement quelques personnes de la localité. C’est ainsi qu’un jour, alors que nous nous promenions tranquillement avec notre ami Traoré, infirmier du village, une femme vint vers nous et parlementa avec lui. La conversation terminée, celui-ci nous expliqua que le petit garçon de cette femme, âgé de 4 ans, souffrait de la maladie du muguet. Il ne pouvait plus rien manger tellement le muguet avait envahi sa bouche. J’interrogeais Traoré sur la possibilité de soigner cet enfant et il me répondit qu’il avait établi une ordonnance, mais que cette famille était très pauvre et n’avait ni la possibilité d’aller à Kaédi chercher le remède ni les moyens de payer celui-ci. Il ajouta que si l’enfant n’était pas soigné rapidement, sa vie alors ne tiendrait plus qu’à un fil, puisqu’il ne pouvait plus rien avaler.

Le lendemain, je demandais à mon ami Sow de me conduire à la ville afin d’acheter le remède pouvant guérir ce petit garçon.. Il me coûta quelques ouguiyas, revenue au village, je portai les médicaments à la maman.

Avant la fin de notre séjour, cet enfant allait déjà mieux et depuis, chaque année, nous recevons une lettre de lui, nous remerciant de lui avoir sauvé la vie.

La veille de notre départ, il fut planté devant le dispensaire un arbre, « l’arbre de l’amitié ». Malheureusement, il n’a pas vécu très longtemps semble-t-il.

La date de notre retour fut quelque peu compromise par les intempéries. Fin août en effet, la saison des pluies commençai à transformer le paysage. Les marigots reprenaient vie à tel point qu’il fut envisagé pour notre retour à Kaédi d’emprunter une pirogue et de remonter le fleuve, les pistes étant devenues impraticables en voiture. Finalement, ce fut avec le cheval du village que nous regagnâmes l’aéroport de Kaédi. Je n’avais pratiquement pas dormi de la nuit, inquiétée que j’étais des pluies abondantes qui tombaient sur la maison et qui petit à petit transformaient le banco des murs en un petit ruisseau boueux !

Cinq heures du matin, nos amis viennent nous réveiller pour un départ une heure plus tard. Le cheval est déjà attelé, prêt à partir. Nous chargeons nos bagages et grimpons à notre tour dans la voiture. Pour que l’animal n’ait pas une charge trop lourde, deux amis djéolois seulement nous accompagnent. Albert, président du comité de jumelage de Djéol et  Gros Sow.  Nous nous enfonçons dans ce qui reste de forêt, essayant d’emprunter la piste qui doit nous mener à Kaédi. Les pluies de la nuit ont modifié encore davantage le paysage et la piste est maintenant transformée en marécage. Le cheval avançe péniblement, tractant sa charge. Tous les passagers sont descendus afin d’alléger le poids de la carriole. Et, de la boue jusqu’à mi- mollets, nous poussons la voiture pendant que la pauvre bête, elle, tire. Nous mettrons plus de quatre heures pour rallier Kaédi alors qu’en auto il nous aurait fallu tout au plus une demi-heure !

L’essentiel pour nous, était de ne pas avoir raté l’avion qui nous emmenait à Nouakchott où nous devions séjourner 3 jours avant de prendre notre vol pour Paris.

Ce petit séjour dans la capitale de la Mauritanie nous permit de profiter des plaisirs de l’Atlantique et de son eau claire et limpide. Nouakchott est une ville assez contrastée, bruyante où se côtoient bidonvilles et maisons de luxe et déjà, nous ressentions la nostalgie de la vie simple et tranquille du village.

Nous nous étions promis de retourner à Djéol, car beaucoup de choses restaient à faire. Malheureusement nous n’avons pas encore pu le faire. Et je regrette, la « bouillatrice », cette mixture spécialement élaborée à mon intention par notre ami Albert pour être certain que je mange quelque chose aux repas. C’était un mélange de lait de chèvre caillé avec du lait Gloria et du sucre. 

Et puis j’aurais beaucoup de plaisir à rencontrer les petites filles du village auxquels les parents, en mon honneur, ont donné le prénom Béatrice.

Après cette aventure, je m’engageai à nouveau davantage dans le Comité de Jumelage et je pris la responsabilité de la commission des fêtes.

Au départ, nous étions une bonne dizaine à nous activer pour l’organisation de la soirée annuelle et de sorties, la participation à la fête de la ville, etc.

Un peu en hommage à mon père qui s’était lui-même beaucoup investi dans cette association, mais qui n’avait pas réussi à faire passer une idée qui lui tenait beaucoup à cœur,  je proposai soirée costumée. Le succès fut moyen les invités n’ayant pas osé, pour la plupart, venir déguisés. Malgré tout j’insistai et peu à peu ces soirées furent une véritable réussite. D’une quarantaine de convives au tout début, nous arrivâmes à 120 invités. Notre rôle consistait à décorer la salle, préparer le repas et animer la fête. Chaque année nous ajoutions une petite note supplémentaire pour le plaisir des participants. En 1989, nous décidâmes que ces soirées seraient organisées en fonction d’un thème. Pour celle du mois de février 1989, nous avions bien évidemment choisi la révolution française. Etait-ce dû au sujet, je ne saurais le dire, mais c’est probablement là que le déclic se fit et que nous commençâmes à avoir un grand succès. Les années suivantes nous abordâmes des thèmes aussi différents que l’Auvergne, l’originalité, l’exotisme etc. Une année, nous commençâmes à prévoir des concours de costume. Et pour que tous les déguisements puissent être admirés de tous, j’eus l’idée d’un défilé. Au son d’une musique rythmée, chacun devait venir faire un petit tour de piste pour présenter son déguisement. Un jury, constitué d’invités non costumés devait se prononcer et le gagnant se voyait remettre un cadeau et les remerciements de l’association pour avoir participé.

Ces soirées nous les préparions un an à l’avance. Il nous fallait penser au thème, aux décors de la salle, au menu que nous établissions nous-mêmes. Pour cela, les tâches étaient parfaitement réparties. Bien que très fatigante, cette activité nous comblait de joie, car rien n’est plus agréable finalement lorsque vous vous êtes investis ainsi pleinement, que de voir  vos invités apprécier et s’amuser parfaitement jusqu’à trois ou quatre heures du matin !

Cela dura une dizaine d’années au cours desquelles nous nous occupions également de la participation du Comité à la Fête de Noisy-le-Sec. Nous y tenions un stand de jeux. Les classiques comme la pêche à la ligne ou le chamboule-tout, rivalisaient avec quelques-uns plus sophistiqués comme le chamboule-tête ou la goulue conçus par Jean-Pierre. Le clou de notre association était sans nul doute notre tombola qui pendant toutes ces années faisaient venir sur notre stand un grand nombre d’enfants et d’adultes. Le principe était de vendre des enveloppes toutes gagnantes, avec des lots de différentes valeurs. Chaque enveloppe comportait un numéro permettant de participer au tirage au sort des trois gros lots de fin de journée. Ceux-ci étaient bicyclette, téléviseur, appareils ménagers etc. Une grande animation avait alors lieu sur le stand, les dernières enveloppes étaient bradées, le tout durait environ trente à quarante cinq minutes durant lesquelles nous expliquions ce qu’était le Comité de Jumelage, quelles étaient les actions menées par notre association. Devant le stand, une foule importante attendait impatiemment le tirage au sort.

Malheureusement, le succès de certains a toujours tendance à faire de l’ombre à d’autres qui supportent très mal cette situation de « second plan » ! Ce fut le cas fin 1999 où un certain Jean-Claude fit part de son désir d’obtenir plus de responsabilités. Mais plutôt que de demander à être responsable de la commission des fêtes, il trouva plus sympathique de sabrer le travail de toute une équipe. Lui qui n’avait pratiquement jamais levé le petit doigt pour nous aider, qui n’avait jamais aucun avis à soumettre, prétendait que nous n’étions pas à la hauteur. Ma réaction fut vive et je fus convoquée à une réunion pour m’expliquer sur mes propos. Celle-ci qui se devait être conviviale, prit une telle tournure de tribunal que je décidai de me taire. Je me contentai tout simplement, preuves à l’appui, de démontrer que durant plus de dix années mes camarades et moi-même avions accompli un travail que personne jusqu’à cette date n’avait réalisé. J’avais une méthode de travail qui m’était propre et je n’admettais aucune critique de ceux qui ne levaient pas le petit doigt pour aider à quoi que ce fut, j’ajoutais que j’en avais assez des « ya ka, faut Kon ». Bien sûr ces propos ne firent pas plaisir, ce n’était certainement pas ce que l’on attendait de moi à cette réunion et je ne m’y fis pas que des amis, mais ceux qui me connaissent savent bien que je ne supporte pas un tel comportement !

Je décidai, à l’issue de cette affaire non pas de donner ma démission, ce n’est absolument pas ma façon de procéder, mais tout simplement de ne pas me représenter à la tête de la commission des fêtes lors du renouvellement de bureau. Les résultats ne se firent pas attendre très longtemps ! Les soirées dansantes sont en déficit permanent, le stand du Comité à la fête de Noisy-le-Sec ne rapporte plus rien, les sorties pour les adhérents sont beaucoup trop chères et manquent d’originalité !

A tel point qu’en mars 2001, le bureau a tenté de m’envoyer un émissaire chargé de me faire changer d’avis et de m’inciter à reprendre en mains certaines activités comme la fête de la ville par exemple. Bien évidemment je m’y suis refusée, préférant garder un rôle d’observatrice.

Puis à la rentrée de septembre 2001, j’apprends avec surprise qu’il est proposé au cours de la réunion du Comité directeur de former un groupe de rédaction pour l’élaboration du journal de l’association, seule activité que j’avais gardée. Bien sûr personne ne m’a parlé de rien, comme d’habitude tout s’est décidé sans réelle concertation.

Cette fois, je ne réagis pas, et ne me propose pas non plus pour faire partie de ce groupe, ce n’est certainement pas ce que l’on attend de moi. Je trouve plus intelligent de me tenir à l’écart de toute cette bande d’incapables, et je pèse mes mots. Je ne 

Une seule chose me contrarie, mon appartenance durant plus de trente ans à une association qui milite pour les droits de l’homme et la paix dans le monde, car je m’interroge ; comment peut-on faire passer de si belles idées quand au sein même de l’association on mène une guerre sournoise contre une partie de ses membres ? Quand on ne supporte ni ne respecte, la différence de chacun d’entre eux. Car le non respect de la différence culturelle pratiquée au sein du Comité de Jumelage est à mon sens aussi grave que le non respect de la couleur, de la langue ou de la religion.

Je comprends pourquoi partout dans le monde la guerre éclate. Tant qu’il y aura des hommes qui envieront ce que possèdent leurs voisins, aucun espoir de paix sur cette terre ne pourra exister.

Fort heureusement, au hasard de ces trente années de vie associative, j’ai pu rencontrer des personnes fort intelligentes et sympathiques avec lesquelles des liens amicaux existent. De temps en temps il nous arrive de nous retrouver, et c’est chaque fois un réel plaisir pour chacun d’entre nous..

SEJOUR AU MEXIQUE

Pour fêter l’an 2000 mon mari et moi décidâmes de nous offrir un voyage. Jean-Pierre étant passionné par l’histoire de la civilisation maya, une cousine vivant depuis plusieurs années dans ce pays lointain, c’est tout naturellement que nous choisîmes le Mexique comme destination.

Après nous être fortement documentés, nous fîmes les réservations nécessaires pour un circuit nous permettant de découvrir les principales villes du Mexique. Nous ajoutâmes à ce séjour de deux semaines, une semaine supplémentaire pour rendre visite à notre cousine.

C’est ainsi que le 11 juin 2000 nous nous rendîmes à l’aéroport afin d’embarquer pour Mexico. Au cours du vol, un repas léger, mais mangeable nous fut servi. Les hôtesses nous remirent également les fiches de douane à remplir ainsi que les cartes de tourisme. Elles nous recommandèrent de ne porter aucune rature sur nos documents sous peine que ceux-ci soient refusés au poste de douane. Sur les fiches de douane, scrupuleusement nous déclarâmes posséder deux pommes (deux orphelines que nous avions emportées pour ne pas les laisser s’abîmer). Il ne me semblait pas utile de remplir les fiches de tourisme puisque nous ne devions pas séjourner aux Etats-Unis, étant simplement en transit. Cependant, nous mîmes beaucoup d’application à certifier que nous n’étions pas en possession de drogue, que nous n’étions pas non plus des trafiquants, que nous n’étions jamais allés en prison pour quelques raisons que ce fut, toutes ces questions auxquelles bien évidemment, tous répondent avec la plus extrême des franchises !

Nous avions donc cette escale à Houston, ce qui théoriquement n’aurait dû poser aucun problème. Mais c’était sans tenir compte de l’absurdité américaine. Après dix heures de vol, nous arrivâmes à l’aéroport où nous n’avions qu’ une heure de battement ce qui, en principe, devait nous permettre de prendre notre avion pour Mexico.

Or, à notre descente d’avion, le début de l’aventure commença ! D’abord il nous fallut comprendre quelle direction prendre, car à part « welcome », rien n’était  indiqué. Nous décidâmes donc de suivre la foule tout au long d’un immense couloir à mi-chemin duquel une employée des douanes invitait, d’une voix de stentor, les Américains à prendre la porte située sur la gauche en répétant inlassablement : « americans residents only, americains residents only ». Je ne suis pas parfaitement bilingue, cependant je compris fort bien que ce message s’adressait aux ressortissants américains uniquement ! Je m’aventurai malgré tout à demander à ce cerbère, dans mon plus bel anglais et le plus aimablement possible, où je devais me diriger ; pour seule réponse je reçus un « this way ! ». Nous prîmes donc « this way » et oh surprise, nous nous retrouvâmes à un poste de douane, situé en bas d’un escalier au sommet  duquel se trouvait un deuxième cerbère qui nous ordonnait de nous diriger vers telle ou telle autre file d’attente.

Nous nous dirigeâmes donc vers la file qui nous était indiquée, et attendîmes que l’épaisse ligne jaune, qui ne devait être franchie qu’à l’invite de l’employée des douanes, arrive à portée de nos pieds. Un bonne dizaine de minutes d’attente et ce fut notre tour. (A cet instant précis, il ne nous restait que trente minutes pour attraper notre vol !). Nous nous présentâmes donc devant l’employée des douanes que je saluai tout en lui tendant nos papiers. Sans même répondre à mon salut, ni même me regarder, celle-ci se lança dans une phrase littéralement incompréhensible pour moi. Dans mon merveilleux anglais, je m’appliquai donc à lui demander : « can you repeat, please ? » Je ne fus pas déçue, car pour répéter, elle répéta. Mais tout aussi incompréhensible était la phrase. A cet instant, j’eus envie de lui demander aimablement de retirer de sa bouche son chewing- gum, la sagesse l’emporta sur mon impulsivité légendaire et je m’abstins, me contentant de répondre : »excuse me, I don’t understand what you tell me, can you repeat slowly please ? » Mais à ma grande déconvenue, la dame ne répéta pas. Elle m’invita simplement à sortir et à revenir avec le document bien rempli. Devant mon insistance à lui expliquer que j’avais un vol dans un quart d’heure, celle-ci me répondit : « I’m sorry ! Out ! » Et bien qu’accompagné de ce très anglais et courtois « I’m sorry », le ton employé, n’engageait à aucune insistance.

Je sortis donc de la zone dans tous mes états, expliquant à mon mari qui lui n’avait strictement rien suivi, que je ne comprenais pas  ce que voulait cette employée. Avisant une de ses collègues, je m’avançai et lui expliquai, toujours en anglais, la situation. Celle-ci examina mes papiers et me demanda quel était mon lieu de résidence aux Etats-Unis. Je lui répondis que je ne résidais pas dans le pays, mais que je me rendais au Mexique. Fort aimablement elle me précisa qu’il me fallait, dans ce cas, tout simplement inscrire « en transit » dans la case correspondant au lieu de résidence. Et voilà ce que me marmonnait l’employée qui m’avait si aimablement reçue précédemment.

J’inscrivis donc « en transit » dans la case correspondante, refis la queue et attendis que la même employée m’invite à franchir la ligne de démarcation. Lorsque ce fut mon tour, fièrement je tendis mes papiers, sûre que j’étais que la situation était enfin réglée. Eh bien non ! elle ne l’était pas ! Ce chien de garde américain entreprit de me faire un discours sur le fait que les questions figurant sur la carte de tourisme étaient d’une extrême importance et que visiblement je ne connaissais pas l’anglais ; en conséquence, j’avais rempli cette fiche n’importe comment, sans comprendre, ce qui était d’une extrême gravité ! Donc j’étais invitée à ressortir et à me rendre à l’autre bout du hall chercher une fiche en français !! Je n’en croyais pas mes oreilles !!! Je me lançai dans une tirade lui expliquant que je connaissais l’anglais, mais que je ne comprenais pas son accent et que si elle avait fait l’effort de parler juste un peu plus lentement, j’aurais fort bien compris ce qu’elle souhaitait que je fisse. Mais rien n’y fit, et plutôt que de me faire embarquer je ne sais où par d’autres cerbères américains, je sortis et me rendis au point indiqué pour remplir une autre fiche et en « bon français » s’il vous plaît !!!

A cet instant, inutile de préciser que nous avions raté notre avion ! Mes fiches remplies, je repassai la ligne jaune, mais cette fois, la foule étant partie, je changeai d’employé et me présentai à un douanier qui me reçut fort aimablement en comparaison de sa collègue. Ces formalités douanières étant enfin accomplies, nous nous précipitâmes pour essayer d’avoir notre avion, mais nous n’étions pas encore arrivés au bout de nos peines ! Le couloir était très long, en fait, le même, en parallèle, que celui pris en quittant l’avion. Ce nouveau couloir nous conduisit dans un immense hall. J’aperçus le comptoir de la compagnie avec laquelle nous volions et je me dirigeai vers celui-ci afin de demander mon chemin. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que nous devions à nouveau passer un poste de douanes !!!

Heureusement, tous les avions avaient un retard indéterminé et le nôtre n’était pas encore parti. Nous nous dirigeâmes donc vers ce poste de douane où l’on nous demanda les fiches de douanes scrupuleusement remplies au cours du vol précédent. Rappelez-vous : les deux petites orphelines que nous voulions sauver d’une gâterie certaine après trois semaines d’absence ! Eh oui, sur notre fiche de douane nous avions noté être en possession de deux malheureuses petites pommes !!! L’employée des douanes lisant cela me demanda où étaient les deux accusées. Je lui indiquai qu’elles étaient dans le sac à dos de mon mari, elle nous dirigea alors vers un de ses collègues qui demanda, lui aussi, où étaient les pommes. Je lui fis la même réponse que précédemment. Il me demanda de sortir les pommes, je fis la traduction à mon mari, qui lui ne comprenait pas du tout ce qui se passait. Il sortit donc les deux petites malheureuses de son sac à dos et me les remit. Je tendis le sac contenant les deux pommes au douanier qui le prit du bout des doigts, craignant je ne sais quelle contamination, et le jeta directement dans la poubelle située derrière lui. Il m’indiqua que nous pouvions poursuivre notre chemin. A ce moment-là, Jean-Pierre, mon mari qui n’avait pas suivi grand-chose dans cette affaire, me demanda : « Ben et mes pommes ?? » Je dus lui expliquer que malheureusement les pauvres pommes avaient fini leur vie non pas dans son estomac, mais dans une vulgaire poubelle américaine !

Nous savions que notre avion avait du retard, mais ignorions quelle était la l’importance de ce retard. Aussi,  pressâmes-nous le pas  pour arriver à la porte d’embarquement. Il faisait très chaud, l’énervement en plus, c’est hors de souffle que nous y parvînmes. Et là, nous apprîmes que le retard de notre avion était d’une durée illimitée ! Le personnel de la compagnie Aero- Mexico nous offrit des jus de fruits bien frais, ce qui nous fit le plus grand bien. En fait, c’est  avec plus de deux heures de retard que nous embarquâmes. Je me demandais si nous allions trouver quelqu’un pour nous attendre à Mexico, car je ne me voyais pas chercher notre hôtel dans une ville que je ne connaissais pas.

Arrivés à l’aéroport de Mexico après un peu plus de deux heures de vol, nous récupérâmes nos valises sans problème et nous dirigeâmes vers la sortie, guettant, d’un œil inquiet un signe dans la foule massée et attendant les voyageurs. Soudain nous aperçûmes une petite pancarte sur laquelle étaient inscrits nos noms, je poussai un grand ouf de soulagement en l’apercevant ! Deux hommes nous attendaient et s’occupèrent de nos valises. Ils parlaient couramment le français, ce qui m’évita des efforts linguistiques que je n’aurais probablement pas pu maintenir longtemps. Nous ralliâmes l’aéroport à l’hôtel dans une Volkswagen, la fameuse Coccinelle, voiture très répandue au Mexique.

L’hôtel était d’un très grand confort, comme tous ceux dans lesquels nous allions nous rendre durant notre séjour. Nous n’en attendions pas autant, ce qui nous importait après ce long trajet, était de prendre une bonne douche.

Après une nuit de repos bien mérité, nous avions rendez-vous dans le hall  pour faire connaissance avec notre guide, d’une part, et les autres participants à ce voyage, d’autre part.

Les présentations ayant été faites, nous partîmes pour nos premières découvertes d’un monde merveilleux.

La cité des Dieux avec ses pyramides et temples célèbres à Teotihuacan fut notre première rencontre avec une civilisation hors du temps.

Après la visite du temple du Serpent à Plumes, nous avions rendez-vous avec les tailleurs d’obsidienne, à quelques kilomètres de là. Première visite, et premiers artisanats. En effet, chacune des régions visitées nous fit découvrir un artisanat différent.

Nous prîmes notre premier repas mexicain au son de la musique interprétée par les mariachis.

L’après-midi, nous retournâmes vers les pyramides que nombre d’entre nous escaladèrent. Pour ma part, je m’en abstins. Les évènements de la veille m’avaient quelque peu perturbée, et je préférais attendre le retour de mon mari plutôt que de me lancer dès le premier jour, dans une escalade que je n’étais pas certaine de réussir.

Dès cette première visite, nous pûmes nous rendre compte de la pauvreté présente dans le pays. Oh bien sûr comme partout on y rencontre la richesse, mais la majorité de la population est malheureusement à la limite du seuil de la pauvreté. Si les produits de l’artisanat sont magnifiques et se vendent bien , il faut bien admettre que ces artisans aux mains d’or, sont largement exploités. Et c’est pourquoi à chaque site visité, nous étions assaillis par une horde de pauvres gens qui tentaient de nous vendre les articles de leur production. Ils étaient tellement persuasifs, que nous repartions avec tout un tas de colliers, bracelets aux multiples couleurs, ou bien encore objets en obsidienne, ceinturons et chapeaux.

Le lendemain, nous visitâmes Mexico. Je fus surprise par le contraste qu’offre cette ville. C’est ainsi que sur la Place de la Constitution se croisent les taxis verts (Coccinelles) et les pousse-pousse. Luxe et pauvreté se côtoient sans que cela ne semble choquer personne. Mexico, comme toutes les capitales du monde, est une ville active, bruyante. C’est aussi une ville très colorée. Toutes les ethnies sont présentes offrant ainsi une palette de couleurs considérables. Il n’est pas rare de rencontrer des Indiens et d’ailleurs, beaucoup de Mexicains sortant du bureau, se rendent sur la place de la Constitution pour y rencontrer un Indien exorciseur. Mexico c’est enfin  la ville où l’on peut trouver le nombre le plus élevé de Volkswagen la petite « Coccinelle », voiture de légende est très prisée dans le pays.

Une balade à Xochimilco nous permit de déjeuner sur une trajinera, barque à fond plat aux couleurs vives. C’est l’attraction de Mexico, la Venise mexicaine !

Mexico, c’est enfin la ville des mariachis. Pantalon noir ajusté au plus près, brodé d’or ou d’argent, veste très courte, brodée elle aussi, lavallière bouffante, sombrero et bottes à talons, ces musiciens ambulants créent l’ambiance mexicaine. Leur quartier général, plaza Garibaldi. C’est là que nous avions rendez-vous pour les écouter et les applaudir. Malheureusement, une pluie diluvienne s’abattit sur nous, et le concert fut de courte durée.

Après la capitale, notre voyage s’orientait plus au sud, pour la découverte des merveilleuses richesses architecturales des sites pré-colombiens tels Teotihuacan, Palenque, Chinchen Itza, Uxmal. Sans oublier  la visite des villes coloniales comme Oaxaca.

Nous allions de merveilles en merveilles, chaque ville, chaque site ayant ses particularités. Un point commun cependant existe, l’or noir américain, entendez par là le coca-cola dont la publicité s’affiche à chaque entrée de village !

De temps en temps un brin d’aventure nous était proposé, comme cette promenade en bateau dans le canyon de Sumidero où nous avions rendez-vous avec les alligators

Chaque cité est différente, chaque région possède son artisanat propre Un point commun cependant, dès notre descente de car, quel que soit l’endroit où nous nous trouvions, une foule d’enfants, de femmes et parfois des hommes nous abordaient pour nous vendre les produits de leur artisanat.

Côté architecture, c’est sans aucun doute le site de Palenque qui m’a semblé être le plus beau et le plus pittoresque. Perdu au milieu de la végétation tropicale il offre aux visiteurs un havre de paix.

Mais avant d’arriver à Palenque, nous sommes passés par San Cristobal, cité fascinante par son  ethnographie indienne où sont préservées les traditions religieuses. Difficile par exemple de prendre un Indien en photo. D’après notre guide, prendre un Indien en photo, c’est pénétrer à l’intérieur de son âme ! Alors en principe ils ne se laissent pas photographier, mais parfois quelques pièces de monnaie viennent à bout de certains mythes ou croyances, une vieille femme se laisse photographier en fermant toutefois les yeux afin que je ne pénètre pas son âme.

Notre circuit touristique prit fin à Cancun, station balnéaire de luxe pour riches Américains. Contraste frappant avec le Chiapas et ses Indiens que nous venions de quitter. Luxe écoeurant en comparaison de la pauvreté latente du pays. Mais région idéale pour qui veut passer des vacances de rêve au soleil. Rien à y faire sinon de dépenser ses dollars dans les boutiques de luxe (Saint Laurent, Cartier etc) ou bien griller sur de grandes plages de sable blond avec de temps en temps un bain dans une mer dont la limpidité, à elle seule, fait rêver.

Après une nuit dans un palace, nous partîmes pour San Luis Potosi, autre ville coloniale dans laquelle vivent ma cousine et sa famille.

Durant une semaine nous avons vécu au rythme familial mexicain et retrouvé le contact avec la population.

Ce séjour me permit de rencontrer cette cousine que je connaissais peu finalement, bien qu’elle ait habité durant plusieurs années à quelques mètres de l’appartement que j’occupais.

Ma cousine a fait les Beaux-Arts à Paris, mais devant les difficultés rencontrées pour vivre de son art, elle a décidé de partir au Mexique rejoindre un ami rencontré durant ses études. Cet ami est devenu son mari, et pour ma plus grande joie, mon cousin.

Carlos et Marie-Hélène, mes cousins, nous ont fait vivre une semaine mexicaine fort agréable.  Dans les guides touristiques, il est dit de San Luis Potosi que c’est une ville froide, que les habitants n’y sont pas sympathiques. Pour les avoir côtoyés de près, je peu affirmer que ce sont des gens tout aussi sympathiques que n’importe quel Mexicain rencontré au cours de notre séjour. Bien sûr, San Luis n’est pas une ville touristique, c’est une ville d’affaires, et c’est peut-être ce qui la rend moins charmante que d’autres villes mexicaines.

Je suis partagée entre deux sentiments différents à la suite de ce voyage. L’un est un sentiment de satisfaction, de joie, de bonheur. Sentiment lié à la découverte d’une cousine avec laquelle aucune affinité ne semblait exister. Pourtant, en une semaine, je découvris une personne charmante, avec laquelle je me trouvais plusieurs points communs, à commencer par la simplicité, une réelle amitié est née entre nous et j’en suis véritablement très heureuse.

L’autre sentiment est celui de la frustration. Frustration  de ne pas avoir pu être plus proche des habitants. Au contraire de mes séjours en Mauritanie, où j’avais pu parler, partager les repas, en un mot vivre au milieu de la population, ce séjour mexicain me laisse l’impression de n’avoir visité ce pays que superficiellement. J’ai la sensation d’être passé à côté de quelque chose qui pour moi est très important, le contact.

Si j’ai la chance de pouvoir y retourner, je ferai probablement le choix non pas d’un voyage organisé, mais celui d’un séjour chez l’habitant afin d’apprendre à connaître ce peuple et ses traditions religieuses et culturelles.

Cependant si un tel voyage doit à nouveau avoir lieu, inutile de préciser qu’aucune escale ne sera prévue aux Etats-Unis.

L’ AMITIE SUR LE NET REALITE OU VIRTUALITE ?

Tout commence alors que nous étions en Normandie pour fêter Noël 2000. Françoise, amie d’enfance de Jean-Pierre, nouvellement convertie à Internet me vante les mérites du « Chat ».

Ce jour-là, je ne suis pas convaincue  par son discours. Le «chat », j’ai essayé déjà, depuis un an que je suis abonnée à Internet. Je suis allée sur l’un d’entre eux, pour voir, et j’ai vu !! Et ce que j’y ai vu, ne m’a pas du tout intéressée.

Devant mon entêtement, Françoise décide de me faire une démonstration sur le « chat » qu’elle utilise régulièrement. Finalement, l’idée me plaît et je note l’adresse « au cas où ».

Quelques jours après être rentrée à la maison, alors que je fais du rangement dans mes papiers, je trouve un post-it sur lequel sont griffonnées quelques lettres : « http://www……. » Je décide alors de me connecter.

Pour accéder au salon, on me demande de m’identifier. Naïve de nature, j’indique scrupuleusement mes nom, prénom, adresse. A ce moment-là, j’ignore que tous ces renseignements vont figurer sur mon profil lors de ma connexion. Une fois accomplies ces formalités administratives, j’accède au « chat » et me retrouve dans un salon où déjà plusieurs personnes sont en conversation.

Avant de continuer, je me dois d’expliquer aux lecteurs qui ne connaissent pas, comment se passent ces discussions.

Dès votre connexion, vous arrivez dans un salon, libre à vous d’en changer en choisissant parmi les nombreux autres qui vous sont proposés. Vous pouvez, soit rester dans un de ces salons et tenter de discuter, de vous faire une place, soit décider d’opter pour un dialogue en privé, dans ce cas, vous conversez avec un seul interlocuteur.

J’arrive donc dans ce salon, et l’espace de quelques secondes, me trouve quelque peu désemparée devant tous ces gens qui parlent de tout et de rien, surtout de rien d’ailleurs !!

Que vais-je bien pouvoir dire ? J’hésite, je reste ? Je quitte ?.… Finalement je me lance. Comme je ne sais quoi dire, je biaise et j’écris : « Bonjour, suis nouvelle ici, ne sais pas comment ça fonctionne ». Formule magique s’il en est. A ce moment, une dizaine d’interlocuteurs me souhaitent la bienvenue. Je commence  à « chacher ». On me demande où j’habite, ce que je fais dans la vie, quels sont mes loisirs etc. Très vite, une femme commence à dialoguer avec moi et m’explique toutes les subtilités du net, tous les pièges dans lesquels je ne dois pas tomber. Nous sympathisons et elle me demande si elle peut m’ajouter à sa liste d’amis, ce qui nous permettra de nous retrouver plus facilement lors de prochaines connexions. En même temps, elle m’explique la manœuvre pour que de mon côté, je fasse de même. Ma liste d’amis s’enrichit donc d’un premier pseudo : celui de Régine.

Ce fut le premier nom d’amis d’une longue liste à venir…

Au fil de mes connexions, je rencontrai toutes sortes d’individus, exactement comme dans la vie, avec tout de même une énorme différence ; l’anonymat de l’écran incite aux défoulements en tout genre, au dépassement de toute limite. Je me rendrai compte plus tard que cet anonymat incite également au mensonge, à la tricherie, certains n’hésitant pas à utiliser plusieurs pseudos différents ! Je ne m’attarderai pas sur une grosse majorité de la gent masculine qui en dehors du sexe n’a aucun sens de la conversation. Alors que je refuse de parler de ce qui semble tant les préoccuper, nombre de fois j’ai entendu cette question : « Mais alors, que cherches-tu ici ? »

Que cherche-t-on sur le net, oui, bonne question !! En ce qui me concerne, je cherche tout simplement le dialogue, la relation humaine. L’échange d’idées sur des sujets différents, avec des personnes différentes. Je cherche à connaître les us et coutumes des uns et des autres habitant en province ou bien à l’étranger.  Et pourquoi pas l’amitié ?

Le net est un merveilleux outil d’échange, pour qui sait l’utiliser. Attention, je dis bien échange, pas échangisme !! Bien que ce soit très probablement le sujet de conversation qui arriverait en tête du hit parade du net, si celui-ci existait.

Je parlai des hommes et de leur sujet de conversation favori, mais je me dois d’être juste, les femmes sur le net, n’hésitent pas à vous faire des propositions. Oh bien sûr, pas toutes les femmes, mais malgré tout bon nombre d’entre elles. A tel point que parmi mes amies, toutes m’ont dit n’avoir que moi comme relation féminine.

Moi-même il m’est arrivé de croiser plusieurs de ces femmes. Deux d’entre elles m’ont particulièrement marquée, car encore maintenant je me demande si en fait il ne s’agissait pas de la même personne sous deux pseudos différents.

La première s’appelait Annie, elle se présenta à moi d’une manière tout à fait correcte. Elle me dit être professeur de mathématiques, habiter Lyon. Elle avait une trentaine d’années et souhaitait dialoguer avec moi parce que plus âgée qu’elle. Je ne me méfiai pas et engageai donc la conversation. Comme elle était prof de maths je lui dis mon aversion pour cette matière lorsque j’étais plus jeune. Nous discutâmes donc mathématiques, éducation nationale ;  tout alla pour le mieux jusqu’au moment où Annie me demanda si elle pouvait me parler de choses plus personnelles. Sur la défensive, je lui demandai de quoi elle voulait parler,  elle se lança alors dans un grand discours m’expliquant qu’elle était angoissée, car elle aimait son mari, aimait faire l’amour,  mais elle avait peur de ne pas être à la hauteur lorsqu’elle prendrait de l’âge. Et bien sûr de me demander comment cela se passait entre mon mari et moi.

Il n’a jamais été dans mes habitudes de parler de ma vie sexuelle que je ne considère pas être comme un sujet tabou mais que j’estime relever totalement de ma vie privée, de mon intimité.

Je lui signifiai que je ne répondrai pas à ce type de question. Je pouvais simplement lui conseiller de ne pas se faire du souci, car pour l’instant elle n’avait que trente ans et devait donc  se contenter de vivre pleinement sa vie. Il serait grand temps pour elle de s’angoisser lorsqu’elle arriverait à la cinquantaine. D’ailleurs, y a-t-il vraiment une limite d’âge à comme pour les  produits frais, est-il réellement nécessaire de s’en faire à ce sujet ? Très honnêtement je ne le pense pas !

S’ensuivit une série de questions me demandant pourquoi je ne voulais pas répondre, est-ce que j’étais gênée etc… Finalement cette jeune femme se dévoila, je compris enfin que ce qu’elle cherchait, c’était tout simplement une relation particulière.

Je mis donc fin à l’entretien expliquant à cette jeune personne que j’étais très bien avec mon mari et que si par hasard un jour, cela changeait,  ce n’était de toute façon pas vers une femme que je me tournerai.

Peu de temps après, je fus de nouveau contactée par une femme, Edith. Celle-ci était plus âgée qu’Annie, puisqu’elle avait mon âge.

Elle était ,elle aussi, professeur de mathématiques, mais résidait à Paris. Pour quelqu’un qui n’a jamais aimé les maths, qui de plus a une aversion assez marquée pour l’éducation nationale, rencontrer deux professeurs de maths en quelques jours, la coïncidence était par trop grande et m’engagea à la prudence.

Edith, me parla de son métier passionnant, elle était professeur en fac. Mariée, deux enfants je crois. Elle me demanda ce que je cherchais sur le net, ce à quoi je répondis que je cherchais tout simplement dialogue et amitié. Rapidement elle m’annonça la couleur. Elle était « bi » et cherchait une relation avec une femme de son âge. Je lui plaisais, d’après elle, nous devrions nous entendre. Je lui répondis que j’étais désolée, mais que ma relation avec elle ne dépasserait pas le dialogue sur le net, si toutefois ce dialogue restait hors propos à connotation sexuelle. A priori elle accepta cette situation. Elle me demanda de l’ajouter dans ma liste d’amis, ce que je ne fis pas.

Cependant, un ou deux jours plus tard, Edith me contacta de nouveau. Là, j’eus droit à des reproches. Je ne l’avais pas ajoutée à ma liste d’amis, ce n’était pas gentil de ma part. Je lui expliquai à nouveau que je n’avais pas l’intention de m’engager dans ce type de relation. Celà ne m’intéressait absolument pas. Edith se lança alors dans une longue tirade. Elle était certaine que nous étions faites l’une pour l’autre, que l’amour avec une femme était beaucoup mieux qu’avec un homme, celui-ci cherchant avant tout son propre plaisir et non celui de la femme, qu’il fallait que je me lance une fois pour en être convaincue. Je lui fis remarquer que ces propos n’engageaient qu’elle. Devant mon refus et ma résistance, elle proposa alors que nous nous rencontrions. Je refusai également lui demandant à quoi cela pourrait bien servir puisque de toute façon je n’avais pas l’intention d’avoir une relation sexuelle avec elle. « Oh » me répondit-elle, « notre rencontre ne t’engage à rien ». Bien sûr que cela ne m’engageait à rien puisque je ne lui fixai pas de rendez-vous. La discussion s’arrêta là.

Puis, de nouveau Edith me contacta. Là, le langage fut complètement différent. Elle était folle d’amour pour moi, n’arrivait pas à m’oublier, il fallait absolument qu’elle me rencontre. Elle m’abreuva de propos que ma pudeur d’une part, et leur caractère pornographique d’autre part, m’interdisent de reproduire ici.. Très vite je mis fin à l’entretien et lui envoyai un mail en la sommant de ne plus me contacter. Je lui expliquai que toute persuasive qu’elle pût être, elle n’arriverait jamais à me convaincre et qu’il était donc inutile qu’elle insiste.

Fort intelligemment elle n’insista pas.

Cette expérience m’inspire deux réflexions. Tout d’abord, alors que l’on parle régulièrement de pédophilie dans les écoles, crime pour lequel sont essentiellement inculpés les hommes, je me demande si l’Education nationale s’interroge quelquefois sur les bonnes mœurs de l’ensemble des professeurs qu’elle emploie.

La deuxième réflexion concerne la force de persuasion que peuvent déployer certaines personnes pour arriver à leurs fins et je  m’interroge sur les conséquences dramatiques qu’auraient pu avoir les propos d’Edith s’ils avaient été tenus à une femme fragilisée par une récente déception amoureuse par exemple, ou bien à une jeune adolescente un peu naïve.

Très facile en effet pour un esprit faible de se laisser convaincre. Je m’inquiète de ce côté pervers et néfaste que peut avoir le net et de l’utilisation que peuvent en faire, et ce en toute liberté, des êtres sans aucune morale !

Sur le net je cherchais le dialogue avant tout. Je l’ai trouvé mais j’y ai surtout trouvé de la détresse humaine. Combien ai-je rencontré d’hommes et de femmes désabusés, cherchant quelqu’un à qui parler, à qui confier ses angoisses, tel celui-ci, malade,  en invalidité totale depuis plusieurs années, sa femme l’avait quitté, il ne pensait et ne parlait que de la mort, rien ne l’intéressait plus dans la vie.

Cette femme atteinte d’une tumeur au cerveau. Elle était québécoise, et me raconta qu’elle partait au Mexique pour y mourir loin de sa famille qu’elle n’avait pas prévenue. Elle n’en avait plus que pour quelques jours. Elle partait avec une quantité de morphine sur elle, pour cela elle avait dû obtenir des autorisations. Et elle envisageait de mettre fin à ses jours lorsque la douleur déjà forte deviendrait intolérable. Elle avait un ami sur le net auquel elle tenait beaucoup.. Elle me demanda de le prévenir car elle-même n’en avait pas le courage. Ce que je fis, bien évidemment. Cet ami me posa un tas de questions, pourquoi ne l’avait-elle pas prévenu, lui ! Je ne pouvais répondre à cela. Je mis fin à notre entretien consciente que je laissai cet ami dans un profond désarroi, mais que pouvais-je faire de plus ?

Chaque soir, durant plusieurs mois, j’ai été à l’écoute de ces âmes en détresse. J’ai entendu des histoires impossibles, incroyables, des histoires de viol, de harcèlement, de divorce, d’amour…

Je ne rencontrais pas que cela sur le net, et très vite, j’eus une longue liste « d’amis », hommes ou femmes, de France, mais aussi de Belgique, de Suisse et d’Espagne, ainsi qu’un grand nombre d’amis résidant au Québec.

Cette liste a atteint pas loin de quarante personnes. Et puis petit à petit, beaucoup d’entre eux ont disparu, comme ça, sans rien dire, comme ils étaient venus.

Parmi eux, Régine.  Pourtant Régine me considérait comme sa sœur qu’elle avait perdue quelques années auparavant. Elle me raconta toute sa vie, je crois que j’en connais tous les détails. Je l’ai écoutée pendant des heures, des soirs durant. Je l’ai conseillée, aidée. Je lui ai cherché de l’information pour l’aider à résoudre ses problèmes. Nous avons eu de nombreuses communications téléphoniques au cours desquelles elle était en larmes, me racontant ses souffrances morales. Malgré cela, comme tant d’autres, un beau jour Régine a disparu du net.

De temps en temps cependant, il arrive que Régine téléphone

D’autres encore n’ont plus donné signe de vie comme Martine qui pourtant me tenait de longs discours sur la malhonnêteté qui existait sur le net. Martine se plaignait justement de ces gens qui se disent vos amis, et qui subitement partent sans prévenir. Elle me disait souvent qu’elle et moi étions des exceptions sur le net. Compte-tenu de son attitude, j’en déduis que finalement je suis la seule exception !! Martine qui devait venir à Paris me rencontrer, Martine qui m’invitait à venir en Belgique. Martine qui finalement n’était pas autrement que les autres.

Il y a ceux qui veulent absolument vous rencontrer, qui sont sûrs que vous et eux êtes faits pour vous entendre. Ils vous reçoivent, vous promettent de venir vous voir, mais vous ne les voyez jamais. Mieux, vous ne les croisez pratiquement plus sur le net. Prétextant les enfants ou bien l’amour subitement rencontré. Ceux-là s’insurgent lorsque vous leur faites part de votre étonnement de ne plus avoir de nouvelles, persuadés qu’ils sont qu’au nom de « l’amitié » qui vous lie, vous devriez comprendre que leur amour passe avant toute chose. Ceux-là même qui reviennent vous voir parce que l’amour en question ne donne pas signe de vie, alors ils sont inquiets, viennent s’épancher, se faire consoler, conseiller ! Ou bien encore, lorsque les enfants sont en boîtes ou en voyage, ils s’ennuient et viennent faire un tour sur le net se distraire un peu ! Avec ceux-là, vous passez de la conversation longue et passionnée au dialogue complètement insipide. Parfois même ils ne viennent plus du tout sur le net, mais vous donnent des nouvelles en trois lignes par e-mail. Vous n’avez plus rien à leur dire mais, comme vous êtes poli et courtois, vous continuez à leur répondre quand ils vous écrivent.

Et puis il y a ceux qui ne partent pas, mais qui ne vous parlent pas non plus. Ceux qui s’adressent à vous lorsqu’ils ont de la peine ou un souci. Ceux-là savent que vous allez les écouter, alors ils viennent vous trouver, racontent leur histoire, cherchent un réconfort, parfois un conseil. Et une fois que le moral va mieux, vous ne comptez plus. Vous êtes juste là pour consoler quand rien ne va, mais lorsque tout va bien, pas besoin de vous déranger.

Il y a aussi ceux pour qui vous avez de la sympathie, sympathie réciproque que vous croisez de temps en temps, avec lesquels vous parlez de la pluie ou du beau temps, avec lesquels vous échangez quelques mots sur les évènements internationaux, le travail… Et que vous laissez poursuivre leur route jusqu’à la prochaine rencontre.

Enfin, et j’ai gardé le meilleur pour la fin, il y a l’amitié réelle et sincère. Cette amitié je l’ai rencontrée, auprès de Catherine, Denise, Diane, Isabelle ou bien encore Rejean Brigitte ou Dolores. Ceux et celles que vous ne croisez pas forcément souvent, qui ne viennent pas tous les jours, comme Anne-Sophie, Jeannette, Marc, Denis ou Marie, mais qui sont là toujours présents. Ceux comme Raymonde qui spontanément vous propose de vous recevoir dans sa maison durant votre séjour au Québec.

Et puis il y a la grande amitié, celle que vous avez toujours cherchée , l’amitié rare que vous ne rencontrez qu’une seule fois au cours de votre vie.

Cette amitié je l’ai trouvée en la personne de Monique.

Monique je l’ai rencontrée au cours de mes premières connections sur le net. Très vite nous nous sommes trouvé nombre de points communs.

Tout d’abord une enfance pas forcément heureuse. En ce qui me concerne, je l’ai dit, il ne m’a rien manqué durant mon enfance sauf l’amour. Monique elle, est issue d’une famille québécoise d’une douzaine d’enfants avec tout ce que cela suppose de pauvreté, d’exclusion, de tristesse au cœur, mais de rêve aussi, car Monique rêve et sait vous faire rêver.

Autre point commun, toutes les deux avons été victimes d’un accident nous laissant des séquelles avec lesquelles il nous faut bien vivre. Nous racontons, mais nous ne nous plaignons pas.

Monique comme moi, s’est trouvée  très souvent déçue par les amis. D’ailleurs, elle est méfiante sur le net, tout comme je le suis. Elle s’est mise au « chat » espérant rencontrer l’amitié, mais sans grande conviction.

Au fil de nos discussions sur le net nous nous découvrons des goûts musicaux communs, décidément beaucoup de choses nous rapprochent. Et puis nous avons toutes les deux un penchant pour l’écriture.

Alors quand nous nous croisons sur les routes du net, au début, nous parlons littérature, nous parlons de nos vies, nous racontant chacune à notre tour. Elle me parle de sa famille, son mari Daniel ses deux enfants Marieve sa fille, et Frédérick son fils et les petits qu’elle garde. Je lui parle de Jean-Pierre, de mon travail, de ma vie associative  Lorsque je rencontre Monique, je suis en arrêt de travail. Je n’ai pas toujours le moral et elle est là, à m’écouter, me conseiller aussi. Doucement au fil des jours une connivence s’installe entre nous. Doucement des liens se tissent. Nous ressentons les mêmes choses, nous aimons les mêmes choses. Il nous arrive de rester quatre, voire cinq heures à dialoguer sur le net. Nous avons du mal à nous quitter, il m’est arrivé, compte-tenu du décalage horaire de me coucher à deux ou trois heures du matin. Nos longues conversations ne nous suffisent pas, nous nous écrivons, nous nous envoyons des cartes. Nous échangeons des poèmes. Eh oui, la rencontre avec Monique c’est aussi l’explosion de ma sentimentalité que je traduis dans des poèmes. J’ai toujours aimé jouer avec les mots. Il m’arrivait de temps en temps d’écrire quelques pamphlets à l’occasion du départ d’un collègue de travail, mais jamais je n’ai écrit de poèmes comme j’en écris actuellement, une cinquantaine depuis notre rencontre.

Je ressens beaucoup d’amitié pour Monique. Je pense que cette amitié est réciproque, mais je m’inquiète, je me demande si nous aurons un jour l’occasion de nous voir. Huit mille kilomètres nous séparent, six heures de décalage horaire entre nos deux pays.

Je fais part de toutes ces inquiétudes à Monique qui me rassure, me demande de faire confiance au temps. Contrairement à moi, Monique prend le temps comme il vient, vit presque au jour le jour. Pour elle, que nous nous soyons trouvées est déjà merveilleux. C’est une de nos différences, et parfois mes inquiétudes sont source de conflit entre nous. En effet, Monique ne comprend pas que je puisse ainsi me faire du souci lorsque je suis plusieurs jours sans nouvelles. Pour elle, notre amitié 

existe, nous avons pris le temps de la bâtir, elle est solide, elle existera toujours. Peu importe si nous ne nous parlons pas pendant plusieurs jours ou si nous n’avons pas de nouvelles l’une de l’autre.

J’ai du mal à tenir le même raisonnement. Trop souvent déçue par l’amitié, je sais bien que le temps qui court n’est pas bon. Combien de personnes auxquelles je tenais ont disparu de ma vie tout simplement parce que, elles comme moi, ne nous sommes pas donné la peine de nous contacter régulièrement !

Jean-Pierre suit notre relation au jour le jour. Il rêve du Canada depuis de nombreuses années, d’ailleurs avant de me rencontrer il devait s’y rendre afin d’y faire l’avion-taxi. Personnellement j’y ai trouvé une amie, nous envisageons donc de passer nos prochaines vacances au Québec.

Je fais part de ce projet à Monique qui bien évidemment est ravie et nous commençons toutes les deux à rêver à notre future rencontre. Durant des semaines nous ne parlons que de cela. Notre amitié est si forte, que nous avons hâte de nous retrouver.

Monique me parle des hivers québécois me vantant la magnificence des paysages sous la neige. Mais voilà, avec la neige, il y a le froid, bien qu’elle me soutienne le contraire. D’après elle, c’est un froid sec, alors que chez nous il y a l’humidité qui pénètre. A des degrés supérieurs il fait donc moins froid au Québec. On ne ressent donc pas la même chose. Mais malgré tout j’ai des doutes et l’informe que pour une première visite, je préfère tout de même venir en été. D’autant que j’ai quelques difficultés à me déplacer sur la neige. Après plusieurs discussions nous convenons que notre séjour se déroulera du 15 juin au 15 juillet 2002.

Monique me fait parvenir, par l’intermédiaire d’une amie qui revient de Montréal, un livre sur le Québec, ainsi qu’une carte de Laval, ville où elle réside. En même temps, je reçois un disque de Ginette Reno, chanteuse québécoise que je ne connaissais pas, mais dont Monique m’avait parlé.

J’écoute le disque en question et je l’adore. Une chanson me plaît particulièrement. Elle s’intitule « J’ai besoin d’un ami ». C’est une chanson magnifique, aussi bien le texte que la mélodie. Je me débrouille pour trouver d’autres disques de cette chanteuse fort connue au Québec, mais qui malheureusement n’a pas voulu faire une carrière internationale, nous privant ainsi de son talent.

Tout de suite je remercie Monique pour ses cadeaux. Mais je lui fais remarquer qu’elle aurait pu mettre une croix sur la carte pour m’indiquer l’endroit précis où elle demeure. Elle m’explique que je vais mettre la croix moi-même et me donne les indications nécessaires à cela.

Le lendemain je reçois un message dans lequel elle m’indique son adresse précise et son numéro de téléphone. Un nouveau pas est franchi dans notre amitié. En effet, jusqu’à maintenant elle ne souhaitait pas me donner ses coordonnées, peut être un peu de méfiance, je ne sais, mais le suppose, pour moi c’est une grande preuve de confiance.

 

IMAGINE 

Imagine le jour où je débarquerai

Tu me vois descendant de cet aéroplane ?

La pluie pourra tomber ce jour-là sur Laval

Car soleil en mes yeux tu pourras trouver

C’est quatre cent dix jours que nous devons compter

Afin que ce doux rêve devienne réalité

Quatre cent-dix jours ! Neuf mille huit cent quarante heures

Mais au bout se profile ce merveilleux bonheur

Bonheur de se parler, d’enfin mieux se connaître

Qu’au travers de ces mots échangés sur le net

Bonheur de s’embrasser, dans nos bras se serrer

Oubliant l’irréel et la virtualité

Tu me feras « un bec » et je t’embrasserai

Je te serrerai fort, tu me feras « une colle »

Peut-être passerons-nous toutes deux pour des folles

Qu’importe, car cet instant sera nôtre à jamais

Instant de magie et de féerie aussi

Où enfin deux amies se trouvent réunies

Se découvrant ainsi pour la première fois

Dans une explosion de joie 

J’imagine ce jour où je débarquerai

Et en moi sens mon cœur qui très vite s’emballe

Car déjà en pensée je suis là, à Laval

Auprès de cette Amie que j’ai enfin trouvée.

Béatrice Cressiot  30 avril 2001

 

Ce jour-là, je me suis amusée à regarder sur le globe terrestre où elle se situait par rapport à moi. Je m’aperçois que nous sommes sur le même méridien, seule la longitude diffère quelque peu. Le soir j’en discute avec elle et chose incroyable, nous découvrons que lorsque nous nous parlons nous sommes face à face, ce qui nous donne une fois encore l’occasion de plaisanter à ce sujet et de rêver un peu.

Au fil de toutes nos discussions, j’ai parfois l’impression que nous avons vécu les mêmes choses à des kilomètres de distance.

Monique c’est exactement l’amie que j’aurais aimé avoir depuis ma plus tendre enfance. L’amie à qui l’on peut tout dire, tout confier, celle avec qui on partage tout, les joies comme les peines. Celle à qui on a envie de tout donner sans rien attendre en retour.

C’est la chose la plus belle qui me soit arrivée. Un seul regret, c’est une amie qui arrive bien tardivement dans ma vie. J’ai écrit un poème pour elle un jour, dans lequel je dis « j’aurais voulu avoir le temps de voir grandir nos sentiments au lieu d’avoir à raconter ». Et c’est vrai, il y a tant de choses qui nous lient mais que nous avons vécues séparément. J’ai l’impression que l’une et l’autre aurions été beaucoup  plus fortes encore si nous avions été ensemble pour nous soutenir mutuellement.

Mais la vie est ainsi faite, on ne choisit pas son destin on le vit tel qu’il est tracé.

Au moment où je couche ces lignes sur le papier, mon amie s’est enfermée dans un silence total. Trop de tristesse actuellement dans sa vie. Je respecte son silence, malgré toute la peine que j’éprouve. Mais comme au fond de moi j’ai peur que ce silence n’affecte notre amitié, je continue de lui donner des nouvelles régulièrement. J’espère ainsi l’aider dans sa traversée du désert. Par mes lettres, Monique sait que quelqu’un l’attend la-bas, à huit mille kilomètres de distance.

Certains amis me disent que j’ai raison d’écrire ainsi, que malgré son silence, elle doit apprécier de savoir que je suis là.

D’autres, bien moins intentionnés me disent de cesser mes écrits, que cela ne sert à rien., qu’elle s’est moquée de moi.

Mais, malgré un léger doute qui je crois ne me quittera jamais, au fond de moi je sais que j’ai raison d’agir ainsi. Je reste persuadée que Monique attend mes lettres et que celles-ci l’aident d’une manière ou d’une autre.

Nous ne nous sommes jamais rencontrées, d’aucuns pourraient dire que notre amitié finalement n’est que virtuelle. Cependant, les liens que nous avons tissés au long de ces mois sont si forts que pour moi cette amitié a dépassé la virtualité et est bel et bien devenue réalité.

Cette amitié sera définitivement scellée en juin 2002 lorsque, enfin, nous nous serrerons dans les bras l’une de l’autre. Ce jour- là, il pourra bien pleuvoir sur Laval, dans nos cœurs un magnifique soleil brillera.

Le net est une fabuleuse expérience à laquelle il faut se livrer avec réserve. Il ne faut pas se faire trop d’illusions. Les gens que l’on y rencontre sont exactement les mêmes que ceux que l’on rencontre dans la vie.

L’amitié sur le net pour moi ce sont les quatre saisons. L’ hiver, vous engrangez une foule d’amis, vient le printemps ces amitiés semblent poursuivre leur vie, mais ce n’est qu’illusion, l’été arrive et commence la désertification du net. Enfin l’automne s’en vient et, comme les feuilles tombent des arbres, les amis quittent votre vie, un à un.

CONCLUSION

On a coutume de dire que la cinquantaine est l’automne de la vie. Je ne sais pas si je suis à l’automne de la mienne, car nul ne peut dire quand celle-ci se terminera.

Mais compte-tenu de cette fabuleuse amitié que j’ai rencontrée à l’aube de cette cinquantième année, je pense que je suis au printemps de ma vie.

Quelque part en effet, cette amitié m’a donné un regain de vitalité, tout comme le printemps redonne vie à la nature endormie.

Si vous aussi vous cherchez amour ou amitié, ne désespérez pas, votre tour viendra. Mais sachez que, comme le chante très bien Ginette Reno, « Pour trouver un ami rien ne sert de chercher, il faut savoir aimer »….

Un simple clic de souris

Un tout petit clic a suffi

Et le déclic s’est produit

Pouvait-on imaginer

Que par le biais d’un clavier

Des liens se seraient tissés

Quelque part bien loin d’ici

Quelque part trop loin d’ici

Dans un merveilleux pays

Je t’ai trouvée, toi mon Amie

Derniers commentaires

14.01 | 06:07

Juste superbe !

09.08 | 13:07

on a vu les images elle sont très belle le Québec est formidable

02.08 | 21:02

Nouveau départ, le 3 août 2016..... par une température encore superbe! ce sera demain....un dernier café pris ensemble et voilà! Il faut toujours partir pour mieux revenir, alors à +.

25.07 | 15:50

Lundi le 25-07-2016
On pense déjà au retour à Marseilles...... que de beau temps, de rires de belles rencontres! Même la Nature pleure aujourd'hui et pleurera avant ton départ.